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9 avril 2024

« Consensus », un mot inexistant dans le lexique socio-historique d’une Haïti en panne d’élites.

"Consensus", un mot inexistant dans le lexique socio-historique d'une Haïti en panne d'élites.

Par Antoine Nérilus

Le concept « élites » peut se définir différemment d’un individu à l’autre en dépit de la minceur des nuances. Boudon, dans le dictionnaire critique de la sociologie, définit le concept comme étant des catégories sociales composées d’individus ayant la note la plus élevée dans leur branche d’activité ». Fin de citation.

Je poursuis, sans coq à l’âne et à grandes enjambées, pour parler de la note la plus élevée dans l’activité politique dans un sens idéaliste, car chez nous, il n’est pas de rêve de construire ou d’avoir une élite politique d’autant qu’on est couvert jusqu’au cou dans un réalisme cauchemardesque d’élite politique en décrépitude, à ce propos. On accorde nos instruments depuis des lustres, partition et instruments en main, mais pas une note musicale dans le concert de la politique d’entente. Les populations, les principaux conviés, assistent à un décor hideux de la scène des musiciens les uns beaucoup plus piètres que les autres.
Tous les accords politiques présents sur le tapis haïtien des négociations actuelles sont torpillés par les mêmes acteurs qui les ont conçus et proposés. On a du mal à nous entendre sur nos mésententes; l’école nous ayant « éduqués » ne nous a pas appris la conciliance, le « fair-play ». La peste émanant du jeu sociologique négatif et à effet retardant  » m p ap kite pou ou se ou k pou kite pou mwen  » nous ronge jusqu’aux os et nous écrabouille.

Dès qu’on est en désaccord avec toi, en Haïti, on veut ta perte, ta destruction, si on s’aperçoit que la victoire n’est pas nécessairement la sienne. Malheureusement. Mêmes les germes minimaux de la tolérance n’existent pas chez l’haïtien, dans le sens prototypique, quelle que soit sa formation académique et/ou professionnelle; si tu lui donnes des conseils ne cadrant pas à ce qu’il avait en tête, tu es pour lui un nouvel ennemi, un sujet à abattre; si tu diffères de lui en opinion, tu es automatiquement mal vu et négativement catégorisé, tu es une menace en dépit de ta volonté d’éclairer ses lanternes; telle une hyène dévorant celui ou celle qui veut la retirer d’un trou béant profond dans laquelle elle est tombée.

La médiocrité et l’incapacité politiques de nos acteurs sociaux et politiques, en ce qui concerne les démarches entreprises à date, tant par les uns que par les autres, en vue de la résolution de la crise socio-politique haïtienne qui s’est déjà transformée en chaos politico-social, sont patantes et notables.

Les théories en matière de résolution de conflits se succèdent sur nos tables de discussions et dans nos fora, mais toujours rien de concret; la nation se meurt, le dépérissement s’accentue à tous les niveaux de la vie, sous nos yeux et bras impuissants. Il faut désormais des techniques et théories de redressement du chaos et non de résolution de crise. On a faits d’énormes bonds négatifs nous ayant fait passer de crise à chaos nourri par nos écarts en tant qu’acteurs sociaux hétérogènes, donc à intérêts divers. D’autres méthodes et compétences s’imposent.

Si rien est fait par les acteurs sociaux et politiques, on risque d’avoir une fin d’année richissime en bouleversements sociaux liés comme toujours à la famine, à la hausse accélérée de la criminalité, à la rareté de divers types de carburant, sans compter les autres improbables qui tendent vers la perpétuation de la déshumanisation continue et entêtée, au détriment de l’épanouissement social, de l’économie nationale déjà exsangue.

La politique est une science et a ses méthodes et outils. On ne peut pas en faire usage en utilisant, non plus, les erreurs et fautes répétées, la bêtise en cascade comme méthodes; encore moins le tâtonnement politique des nuls endoctrinés comme paradigme ou antidote. C’est pourquoi, dans toute arène politique digne de ce nom on choisit de servir et, de fait, on se sert des  » « Policy communities », soient des groupes d’experts indispensables dans toute prise de décision d’importance vitale pour la nation du fait de leurs connaissances du dossier, leurs influences sur les groupes socioprofessionnels concernés, à savoir leurs conseils précieux, pour éclairer le décideur principal, que ce soit dans les couloirs du pouvoir ou aux abords du pouvoir politique, mais des gens pourvus aussi du sens de patriotisme. Les hommes/femmes capables et valables sont là, mais c’est comme qui dirait qu’on a un amour effréné de la bêtise et de la médiocrité dans nos cellules de réflexions (toutes tendances idéologiques confondues), dans nos universités, dans nos partis politiques, dans les appareils idéologiques respectifs, et que cet amour toxique nous pousse à pourchasser les techniciens pour privilégier le choix des cancres de tout type pour matérialiser le rêve de la descente vertigineuse aux enfers nourrie par les brutes de la patrie commune vilipendée, toujours en quête de fils et filles sensés.

On est à un carrefour où il n’y a que trois seules issues majeures restantes: soit qu’on se plie sous les bottes d’une nouvelle occupation multinationale, non voilée; soit que les élites s’assoient pour de vrai, et que dans un temps convenable et raisonnable, l’on dote le pays d’un gouvernement de consensus pour ramener l’ordre social indispensable à la vie collective pacifique d’antan et ensuite qu’on renouvelle le personnel politique dans une période assez courte; soit qu’on s’achemine vers une guerre civile à nulle autre pareille pour une renaissance très tardive d’Haïti de ses cendres. Dans toutes sociétés, il incombe toujours aux élites de transformer les donnes, de parvenir aux solutions sociales économiques, politiques, peu peuvent importer le temps, les circonstances et les sacrifices y afférents.

En outre, On doit choisir, après le rétablissement de l’ordre, si on y parvient, par des élections, des acteurs capables, expérimentés, intègres, outillés de plans de sauvetage scientifiques pour une bonne gestion de la respublica sur les 30 années qui s’en viennent, car on ne peut construire ni forts ni cathédrales sur des tas de détritus, le socle étant l’élément clef de toutes bonnes œuvres.

On peine à s’entendre sur les mésententes et les ridiculités quotidiennes, et cela nous expose à tous les dangers imaginaires et imaginables.

« Le concensus n’est pas haïtien », selon Me Danielo Bernard, enseignant avisé et avocat haïtien.

On n’est pas enlisé dans une crise politique conjoncturelle, mais dans une crise socio-historique multidimensionnelle qui, avec le temps, soutenue par nos attitudes dilatoires, s’est métamorphosée en chaos. Je le répète. On est dans le chaos total. L’État a perdu tous ses repères et a manqué, de façon aiguë et étonnante, à toutes les fonctions régaliennes qui lui incombent. Nos élites ont échoué, elles sont en faillite. Permettez que je ne parle volontairement de la presse, comme contre-pouvoir social qui s’est fondu dans la pâte politique et qui a été englouti belle lurette par les rapaces des pouvoirs corrupteurs de L’État.

Bref, si les élites se distinguaient par leur réussite à la tête de nos institutions, les retombées, en termes de bien-être collectif seraient bien visibles où que l’on soit sur le territoire. Si L’échec est d’ordre directionnel, en termes de management public et pouvoir décisionnel, il l’est aussi dans la sphère la plus élevée des tenants du pouvoir économique qui, eux aussi, en pâtissent et ont très souvent à fuir l’arène, au moment des dégénérescences, tant les résultats néfastes sont impartiaux dans leurs ravages multicéphales.

Des questions s’imposent, du coup. Où ces gens qui composent les élites, qu’ils soient du monde politique ou économique, ont-ils été formés et dans le sens de l’intérêt de qui?

Quel a été le choix des notions enseignées dans nos différentes écoles supérieures et universités et quels ont été les mobiles des idées qui y sont enseignées qui nous ont emmenés là où nous sommes aujourd’hui?

Si nos élites ont été générées par des masses inconscientes, elles ne sauraient ne pas être incompétentes, inproductives. C’est d’ailleurs gênant et même impropre de parler de fausses élites, car les élites constituent la quintessence même des groupes hégémoniques d’une société. C’est dommage qu’on s’entretue et s’entredéchire, comme des chacals, sous un leadership médiocre ou inexistant, se croyant chacun détenteur du mot sacré qui apporterale salut politique dans une société dont tous les tissus sont en décrépitude.

Par ces temps sombres de notre histoire de peuple, on tend vers le niveau le plus dangereux de l’abîme sans même en apercevoir la fin.
On ne pourra pas s’en sortir sans accepter que toutes nos propositions sont bonnes et/ou mauvaises, dans le sens Protagoréen (Protagoras), selon le prisme de chacun de nous et accepter de trouver le juste milieu, le « Modus Operandi historique nécessaire » pour que la nation avance et que nos malheurs et humiliations diminuent, car nous faisons pitié aux yeux du monde, en multipliant des réunions/fora interminables et dilatoires depuis plus de 4 ans, bien que l’imbroglio haïtien dure des dizaines de décennies, sans aboutir à une entente aussi petite qu’un grain de millet. Les déchirements se poursuivent, se raffermissent et la nation se meurt sous les yeux vagues, insouciants des parties prenantes qui, toutes, déclarent pourtant vouloir sauver Haïti ou travailler dans le sens du bien-être commun de ses habitants. Menteurs, puérils, inaptes, incultes, ces qualificatifs nous conviendraient tous ou presque, à bien des égards.

Que vous soyez de la gauche, de la droite ou du centre, aucun de nous ne peut et ne doit s’enorgueillir des turpitudes auxquelles font face plus de 15 millions d’haïtiens dans le monde d’aujourd’hui-un monde troublé par la guerre et la migration liée aux conditions sociales infernales dans les contrées les plus diverses, surtout si nous disons faire partie des élites de ce pays meurtri-.
Oui. Mêmes les haïtiennes et haïtiens qui se retrouvent sous d’autres cieux en ce moment souffrent amèrement de notre déficience et inutilité en management d’État à cause de l’insouciance, des lacunes de nos acteurs sociopolitiques actuels. L’image de la gestion de la cause haïtienne influe sur le traitement infligé à nos migrants où qu’ils aillent chercher refuge et influe sur l’état mental de tous les haïtiens, qu’ils soient en Haïti ou ailleurs. Plus l’image du pays est horrible à l’interne, plus le traitement réservé aux compatriotes éparpillés dans les quatre coins du monde sera inhumain et terne. C’est une réalité en matière migratoire à l’échelle mondiale. Nos élites nourissent-elles les crises ou nos élites se nourrisent-elles des crises? Les crises constituent-elles une entreprise juteuse en Haïti au profit des fabricants de crises et ouvriers politiques? Quel est, donc, le but des partis politiques dans notre société, se nourrissent-ils, eux aussi, de crises ou ils ont la mission de conduire la barque des affaires politiques vers un summum de bien-être collectif d’émancipation?
Honte à nos élites, qu’elles soient de compositions gérontocrates ou jeunes et qu’elles aillent au diable si elles ne recouvrent pas, san délai, le vrai sens de ce concept salutaire et n’agissent vite!

Professeur Antoine Nérilus, Spécialiste en Langues Vivantes et Traduction multilingue, Normalien Supérieur de l’Université d’État d’Haïti, Mastérant ès Sciences Politiques.