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27 avril 2024

Le Mouvement et Slogan Social « Bwa Kale » haïtien: compréhension socio-linguistique et juridico-politique

Le Mouvement et Slogan Social "Bwa Kale" haïtien: compréhension socio-linguistique et juridico-politique

Par Antoine NERILUS, le 28 avril 2023

Le nation haïtienne, depuis son indépendance le premier janvier 1804 à date, n’a jamais connu deux décennies successives sans être en butte à des soubresauts et/ou galères tantôt socio-politiques tantôt économico-politiques qui l’assaillent, la rongent, en tant que nation, et qui la détruisent.

Ces assauts de toutes sortes, dont nous sommes, malheureusement les géniteurs et concepteurs, sont dans la plupart des cas les résultantes des types de dirigeants que nous avons eus à la tête de L’État. Ignorants de la gestion de la Chose Publique, fous au pouvoirs, aveugles soumis et vendeurs de Patrie sont, entre autres, ceux qui ont toujours eu beaucoup plus de chance d’accéder aux postes de décision, d’y perdurer pour ne rien faire, que ce soit par le truchement d’élections, par nomination ou par putsch. Les exceptions à cette règle d’or de l’histoire haïtienne sont si peu que ceux qui ont essayé de l’enfreindre ont été soit éclipsés, haïs ou très sévèrement combattus à l’échec, à la disparition, à l’ignominie ou à la mort.

Anténor Firmin, Émile Saint Lot, Daniel Fignolé, Leslie François St Roc Manigat ne disconviendront pas de ma thèse.
Face à cet historique état de fait, la souffrance a toujours fait partie intégrante de la vie de ce peuple martyr n’ayant sur qui compter devant ses croix multiples à porter le long de son existence et ce, jusqu’à aujourd’hui en 2023.

À chaque fois que le soleil de l’espoir semble vouloir luire, une abrupte éclipse surgit, soit des périodes de fléchissements et de défaillances regrettables dont on a pratiquement rien appris pour progresser en tant que peuple. Qui pis est, tout s’est toujours fait au nom du peuple. Le malheureux cobaye de toujours ou le tremplin sur lequel ils prennent élan pour aller piller les caisses de l’État. À chaque fois qu’ils veulent faire leur beurre, ils brandissent le concept 《RÉVOLUTION》.

Faits historiques vers 1840:

Remontons à Jean Pierre Boyer qui dirigeait assez bien le nouvel État, surtout sur le plan économique, mais très obscurantiste sur le plan de la gestion de l’éducation nationale et qui était l’objet d’incisives critiques de la part de l’opposition d’alors, laquelle demandait au peuple, durant des années, de se révolter contre Boyer à tel point que ladite opposition allait faire ce que les historiens appellent vulgairement mais vraiment improprement 《La Révolution de Praslin》.

Une fois Boyer parti, les conditions de vie n’allaient pas s’améliorer pour le peuple qui avait combattu le gouvernement de Boyer.

On fait le pire de ce que font ceux que nous critiquons. C’est le résumé même de l’histoire D’Haïti.

À la fin du mandat d’Élie Lescot, Port-au-Prince a connu des troubles marquants, gratuits. Et le comité exécutif militaire avait du pain sur la planche pour redresser la barque.

Vers 1946, on a le professeur de la commune de Verrettes qui accède au pouvoir, en la personne de Léon Dumarsais Éstimé, en dépit du fait que les espoirs étaient gros, Estimé sera chassé après de louables exploits, rien parce qu’il comptait briguer un second mandat. Notre vie de peuple est faite de souffrances de tout type émanant pour la plupart de nos dirigeants ou de leur laxisme, ce qui rend le peuple fou, violent. Les mouvements revendicatifs et insurrectionnels ont jalonné notre histoire. Les piquets, les cacos, le déchoucages des tontons macoutes, « Souke Pyebwa », « Grenn nan Bouda » jusqu’à « Bwa Kale Zonbi » ou « Bwa Kale ».

Angle Sémantico-Étymologique du concept « Bwa Kale »》

Dans la sociologie haïtienne, le sexe est considéré comme une béquille sur laquelle s’appuyer pour créer des images. Le pénis, en tant qu’organe sexuel, lié à la virilité masculine, on y fait allusion souvent en tant que symbole de bravoure, de hardiesse: Grenn nan Bouda ! « Grenn » -signifiant les testicules en français– équivalait à dire qu’on devait avoir des couilles ou des testicules bien souchés, solides pour pouvoir s’attaquer aux tenants du pouvoir du début de l’an 2000 haïtien, sans capituler, vu les dérives qui en émanaient. L’organe sexuel masculin y est vu comme symbole de puissance, parfois de résistance ou de ténacité.

Dans « Bwa Kale » « bwa » est l’équivalent du vocable « Bois » français dans son sens littéral transposé dans le sens imagé parfois volontairement pour désigner le verge, le pénis. Donc, « Bwa » c’est le pénis. « KALE » c’est replier le prépuce pour que le gland soit le plus dur possible pour obtenir une bien meilleure éréction, plus visible, en termes d’exhibition des veines du gland du pénis. Un « Bwa Kale » est un pénis non seulement en éréction mais avec le prépuce bien replié prêt à défoncer ou à faire jouir sa cible avec hargne, vigueur ou raideur exponentielle ou très rarement à faire souffrir. Ici, c’est dans l’acte sexuel.

La transposition, soit une catachrèse, s’est vite faite et utilisée dans le lexique politique haïtien, soit un emprunt, ensuite bien forgé, pour dire qu’on va attaquer l’adversaire, triompher de lui, avec toute la force qu’il faut, sans relâche, avec une intrépidité invincible, c’est à dire sans mollesse aucune. Il faut y voir un masochisme langagier sous-jacent, rien que dans le lexique politique. Un outil langagier d’attaque.

L’expression, par le truchement des journaux, des débats houleux à la radio, à la télévision, qu’elle va provoquer, va gagner d’autres contrées linguistiques et d’autres significations dans les jours, mois et ans à venir, comme tout néologisme, d’ailleurs, appelé à naître, grandir puis tomber dans l’archaïsme linguistique.

Historicité politique du concept « Bwa Kale »:
《Le mouvement « BWA KALE  » PHASE 1》

Le gouvernement d’Ariel Henry a fait face à un « lockdown » en novembre 2022, suite à une augmentation vertigineuse du prix des produits pétroliers, passant de moins de 300 gourdes à 570 gourdes, ce qui a mécontenté les masses qui ont institué, par le biais des organisations socio-politiques de base, un mouvement de révolte national du nom de « Bwa Kale », VOIR base 47 (à Delmas 47), lequel allait s’étendre sur le territoire tout entier et qui consistait à bloquer littéralement la circulation des véhicules en signe de protestations contre les mesures du gouvernement jugées folles par les citoyens.

Le mouvement Bwa Kale phase 2》

Dans la deuxième phase, le mouvement est utilisé contre les gansters, les criminels qui kidnappent, pillent, volent et violent. Il faut dire que le kidnapping, l’assassinat des policiers par les bandes armées constituent le quotidien de la société haitienne. Seulement pour le début de lan 2023, plus de 23 policiers ont été tués par des bandes armées.

Plusieurs de ces cadavres ont été laissés en pâture aux chiens, car les bandes armées empêchent aux autorités étatiques de récupérer les cadavres, la plupart du temps. Certains policiers ont été dépecés comme à la boucherie et leur chair exposée dans des brouettes, en signe d’humiliation, sous les yeux impuissants des responsables d’État. Des femmes ont été hachées, démembrées, comme en charcuterie, calcinées puis vidéographiées pour émettre le message psychologique escompté.

On a aussi vu sur les réseaux sociaux des gangs demandant à des populations d’abandonner leurs quartiers sous peine de mort dont eux seuls ont le monopole et le pouvoir. Même les commissariats ont été abandonnés par les policiers pour être habités par des gangs pendant plus de 3 ans, sans réplique aucune de la part des forces de l’ordre. Exemple: Les commissariats de Martissant ( Port-au-Prince); de la commune de L’Éstère (département de l’artibonite); de la localité de Méyotte (Section Communale de Pétion-Ville); pour ne citer que ceux-là. Des policiers ont eu également à abandonner leurs maisons, parfois ne sachant même pas par où sont passés leurs enfants et/ou femmes. L’APOCALYPSE !

Le « Bwa Kale » au prisme des scientifiques du Droit Positif
Si nous considérons le droit positif, on doit donner raison aux détracteurs du « Bwa Kale », car le droit positif veut que les prescrits et entendements humains sous formes de lois, de codes soient strictement appliqués par:

1) l’État; c’est le positivisme étatique.
2) Par les hommes dans le sens d’une pyramide ou d’une hiérarchie (en termes de priorités définies. C’est encore l’État, entité invisible, qui fait définir, écrire, promulguer et faire respecter lesdits codes et lois).C’est le positivisme normativiste de Hans Kelsen.
Si l’on s’entend bien, chers lecteurs, juristes, avocats, politologues, étudiants, passionnés des Droits humains et/ou des relations internationales, selon cette grande théorie, on sera d’avis que l’État reste et demeure le pilier central du droit positif pour nous affranchir du joug du droit naturel que vous et moi récusons. On ne se fait pas justice, au regard du positivisme juridique. Point barre.
Ceci étant dit et bien expliqué, il s’aperçoit que, dès que l’État faillit, s’affaiblit, se désagrège, disparaît, les normes et les codes régissant le vivre-ensemble des hommes de la société disparaissent illico et c’est cette anarchie que nous déplorons vivement.

《L’État est un constant vigie ou un monstre indispensable et utile à bien des égards》

Ce LEVIATHAN, aurait dit Thomas Hobbes, est indispensable pour que le loup que je suis pour vous soit limité dans sa férocité, car l’homme tend toujours à dévorer son semblable, quand il n’y a aucune entité pour faire respecter ou placer les balises dans les rapports sociaux.

D’où le fameux dicton latin:  » Homo Homini Lupus Est ». Sans le gendarme invisible (l’État), on est enclin à dévorer son semblable soit dans le cadre de la satisfaction de ses intérêts, ou parce qu’on se sent illimité dans ses pouvoirs et désirs de régner.

Sans l’État, dans sa réalité, comme gendarme, vigie, sentinellle, on retourne à la vieille et sale case de départ qu’est la loi naturelle. Le Naturalisme s’opposant au positivisme susmentionné. C’est cette justice naturelle, expéditive, privée, qui est en passe d’être appliquée par la plèbe chez nous en ce moment.

Bref, en Haïti, on n’est dans le positivisme que dans l’idéalisme par les temps qui courent et les théories nous empêchent de cerner et comprendre la triste réalité de la conjoncture socio-politique. Les juristes brandissent le droit rien que dans le sens de ce qui devrait être, mais pas dans le sens de ce qu’ils vivent et qu’ils sont en train de connaître. C’est, MALHEUREUSEMENT, le naturalisme qui y règne en ces sombres temps. Les hommes ont codifié pour faire quoi? C’est pour nous sortir d’agissements empreints d’animalités avec l’État COMME ÉTERNEL ARBITRE. Chez nous, L’ÉTAT délègue mal.
ICI, dans le cas d’Haïti, C’EST L’ÉTAT qui ordonne aux sujets de superposer le naturalisme au positivisme, que vous aimez tant et que je ne déteste pas. On ne saurait encourager l’ensauvagement ou le cannibalisme chez les peuples en 2023, non.

《Le gros Hic》

La défense étant un droit sacré et inaliénable, si l’État ne vous défend pas, Il est automatique que la défense soit de fait, violente. Quitte à être regrettable, car il y a un dualisme et ÉTERNEL combat entre le droit naturel et le droit positif; le vide ne sera jamais de mise. Le peuple oublié a le droit de se défendre et de défendre ses biens.

…Autrement dit, quand l’État institutionnel démissionne de son rôle protecteur, une étrange réappropriation du monopole de la violence légitime se fait par le peuple et, à partir de là, tout le monde est exposé à toutes les déchéances possibles, imaginables et très imprévisibles.

Dès que l’État faillit ou se désintéresse de sa première mission régalienne étant de protéger son territoire et les habitants qui y vivent, c’est l’humain et sa haine pour son semblable qui prennent le dessus, et les victimes peuvent et ont le plein droit de s’attrouper, s’associer pour se défendre comme le leur dictent le bon sens et l’automatisme; en matière de défense collective face au déni de la vie ou du mépris du droit de propriété que confère encore l’État.

On ne devrait pas être en train de vivre le mouvement Bwa Kale haïtien, mais c’est l’État même, par son insouciance, son laisser-aller, et par la voix d’une représentante du gouvernement, la Ministre de la justice, Émmelie Prophète, qui a demandé aux citoyens de se défendre comme ils le peuvent face aux assauts des bandits qui ont monopolisé le droit à la vie, à la circulation, aux loisirs, à la propriété dans plus de 25 communes, ce qui a ainsi défié les grands principes de l’indivisibilité territoriale et de souveraineté nationale.

Elle, la Ministre, a su évoquer et énumérer des 《territoires perdus》 à l’intérieur du territoire national. Insolite.
Quand l’État n’est plus souverain, quand le territoire est non contrôlé et non contrôlable par l’État, on doit s’attendre à toutes formes d’insolites, à tout, qu’on le veuille ou non.

« Le mouvement ou slogan BWA KALE: une arme à double tranchant »
Tout mouvement populaire non dirigé peut être porteur de satisfaction en termes de revendications ou suicidaire. Si le peuple se défend tout seul, sa méthode de défense est terrible et non circonscrite.
Le bwa kale va exploser certains foyers de gangs frappés de peur des supplices populaires. Ils fuiront leurs zones d’activités pour sauver leur peau et seront capturés dans d’autres zones où ils se seront retranchés. Côté positif.

Il est fort possible, de toutes façons, qu’il y ait des cas de lynchage d’innocents, de règlements de compte, d’exécution sous base de clichés sociaux, et autres. Côté négatif.

La responsabilité auquel cas sera imputée à celles et ceux qui ont accepté de transférer le monopole de la violence à l’aveugle et l’inconsciente foule, à ceux qui n’avaient pas écouté les cris de détresse populaire sur plus de trois ans, ou qui ne voulaient pas se hisser à la hauteur de leurs responsabilités d’hommes et de femmes d’État. Il fallait sévir contre les gangs, insérer ceux qui pouvaient l’être, écrabouiller les emmerdeurs, restaurer l’autorité de L’État, lui rendre son statut sacré par la force la plus coercitive qui soit et non déléguer la gestion du territoire à la foule ni à la providence.

Toute foule peut friser le délire et la rage et les conséquences peuvent être fatales même aux irresponsables spectateurs d’État.

Danger lié à la longévité du mouvement

  1. Si d’aventure le mouvement échoue, n’aboutit pas, ne parvient pas à éradiquer les gangs du territoire, les gangs peuvent décupler leurs forces et faire une hécatombe comme ils l’avaient déjà entamée. Et, l’État d’Haïti, comme il l’a toujours fait depuis plus de 5 ans, restera les bras croisés, en brandissant l’impuissance étatique de toujours et le manque de moyens pour sévir contre eux.
  2. Ceux qui fabriquent les gangs, s’ils ne sont pas inquiétés, en fabriqueront davantage à un rythme plus accéléré et en plus grand nombre dans les ans à venir, si l’État ne sévit pas et ne se fait pas représenter dans toutes les sections communales; s’il n’applique pas de politique sociale perénne pour pallier aux vulnérabilités exposant les jeunes en tant que proies faciles des grosses légumes politiques et du secteur économique.

Contrainte: La police peut ne pas vouloir continuer à s’attaquer aux groupes armés pour des raisons d’ordre politique et il ne peut pas y avoir du « Bwa Kale » sans un accompagnement policier. Le peuple seul n’y parviendra point.

Professeur Antoine NERILUS, Normalien Supérieur, étudiant et chercheur doctorant en sciences politiques, CONSULTANT en Traduction/Interprétation/ en Sciences Politiques, journaliste, le 28 avril 2023.