Mickael Marabou : La voix emblématique de la culture haïtienne sur la scène mondiale
Parmi les figures marquantes de la culture haïtienne, Mickael Marabou se distingue par sa présence exceptionnelle sur les réseaux sociaux, accumulant des millions de followers et de vues au fil des années à travers diverses plateformes. Principalement connue pour son énorme succès international, « Mwen Love Ou » en duo avec Davido, Marabou a sorti en septembre dernier « Pran Plezim ». Ce morceau de rabòday en solo commence déjà à faire sensation, avec des vidéos de danse qui fleurissent un peu partout à Brooklyn.
Cependant, si l’on exalte autant son charisme et ses exploits musicaux sur les réseaux sociaux, ce qui a véritablement permis à Marabou d’atteindre plus de 1,7 million d’abonnés sur Instagram, ce n’est pas seulement sa musique. Dans une interview récente, elle a partagé sa joie à parler aussi bien de son travail en coulisses que devant la caméra, en expliquant comment ses expériences diverses dans la télévision, la musique et l’événementiel ont façonné sa carrière. Son flair marketing, sa maîtrise des relations publiques pour des artistes renommés comme Wyclef à New York, ou encore la gestion de réservations pour de grands festivals, ont tous contribué à faire évoluer son parcours.
Une mission passionnée : représenter Haïti sous toutes ses formes
Marabou est profondément engagée dans la promotion et la représentation de Haïti dans tous les domaines — que ce soit dans des stades, lors de festivals de rue ou sur les plateformes de streaming. Récemment, elle a collaboré avec Audiomack, une application de streaming populaire dans des régions où l’accès à Internet est encore précautionneux, pour créer une catégorie consacrée au konpa afin d’illustrer la richesse musicale haïtienne.
Origines et formation culturelle
Mickael Marabou : Je suis née dans une famille de six enfants, avec trois garçons et trois filles. Nous avons deux générations présentes en Haïti — mon père, ma mère, puis mes frères et sœurs, et nous, les trois dernières, sommes nés aux États-Unis. J’ai grandi dans le quartier de Park Slope, quand il y avait encore beaucoup de Haïtiens qui y vivaient.
En quoi votre enfance a-t-elle nourri votre amour pour la culture haïtienne et votre chemin artistique ?
Marabou : Mes parents viennent d’Okap et de Léogane, donc j’avais déjà la connaissance des racines musicales. Ils veillaient toujours à faire écouter des chants de Noël haïtiens, ce genre de choses. En grandissant, mes frères et sœurs sont arrivés environ à partir de l’âge de 12 ans. Ma sœur aînée m’a fait découvrir la musique country, un peu de pop, de R & B. Lorsqu’elle s’est mariée, c’est là que j’ai vraiment découvert le konpa. Son mari jouait du konpa tous les week-ends. Il organisait des fêtes à la maison avec de grosses enceintes et tout un orchestre en live.
Je ne connaissais pas encore tous leurs noms. Lorsqu’il passait T-Vice, “bidi bidi bam bam”, je disais : “Oh, c’est Selena, d’accord.”
Une anecdote amusante et un sentiment partagé
Marabou : Ça me fait rire. J’ai un frère qui est né ici, lui aussi est fan de musique haïtienne. C’est un peu la même histoire pour moi. Je crois que c’est avant tout un désir d’appartenance. Apprécier la culture, la voir, l’aimer. La passion que la diaspora porte pour Haïti est incomparable.
Une volonté de faire rayonner Haïti
Que peuvent faire ceux de la diaspora haïtienne pour continuer à valoriser la culture à l’échelle mondiale ?
Nous vivons dans un melting-pot où chaque communauté possède sa propre identité. Il est essentiel que nous mettions en avant la nôtre aussi. En tant que Haïtiens, c’est une responsabilité. Chacun ici a sa culture, son histoire, mais il est crucial de rappeler que notre passé ne se limite pas à l’esclavage : notre histoire est aussi une part intégrante de l’histoire mondiale. En tant que populations noires, notre récit est riche et va bien au-delà des souffrances passées.
Le rôle de la musique dans cette valorisation
Marabou : Dans notre communauté, j’ai été parmi les premières à collaborer avec des artistes internationaux, à faire avancer la culture par ces échanges. Pour moi, il est primordial que le créole, notre langue originelle, soit représenté. Avec mon titre avec Davido, plusieurs m’ont reproché : « Tu as une grosse collaboration, si tu faisais tout en anglais, ça aurait été diffusé partout, sur Hot 97 et autres. Tu sacrifie la culture. » Mais j’ai préféré faire le choix de représenter le créole, parce que si on peut apprécier la musique africaine dans plusieurs langues, pourquoi ne pas donner la même chance au créole ?
Certes, ce n’a pas toujours eu l’impact attendu, mais j’estime avoir rendu service à la culture. Le créole, c’est une langue belle, qui chante, qui coule facilement, tout comme le français ou d’autres dialectes africains. Si je devais recommencer, je le ferais sans hésiter. C’est comme ça qu’on pourra faire connaître la musique haïtienne à l’échelle internationale : par la collaboration et en intégrant des éléments créoles, qui nous rendent uniques, comme le konpa.
Comment assurer la pérennité commerciale de cette vision dans l’industrie musicale ?
Le domaine du divertissement est la principale exportation de chaque pays : la musique, la gastronomie, la culture. Pourtant, nous n’avons pas encore trouvé la formule pour vendre cette identité comme étant clairement celle d’Haïti. Par exemple, le zouk provient du konpa, mais d’autres artistes ont repris certains éléments pour créer leurs propres genres.
Je me souviens d’une interview où l’on m’a demandé : « Quand tu numberises, on voit qu’il n’y a pas beaucoup de magazines ou de journaux spécialisés dans la couverture de la scène haïtienne. » C’est là que réside notre défi : comment faire en sorte que la communauté de fans et les médias valorisent davantage notre musique et nos artistes ?
« Je pense qu’on a la prochaine étape. On est dans l’intervalle, dans notre moment. Les Haïtiens réussissent vraiment bien. Il faut juste qu’on trouve comment que le grand public en parle et qu’on fasse entrer d’autres artistes dans cette dynamique. »
Mickael Marabou
Sur le territoire américain, je croise beaucoup de Haïtiens actifs dans l’industrie musicale : avocats, producteurs, A&R, gestionnaires… Nous sommes nombreux à faire bouger la scène, mais nous n’avons pas encore réussi à nous rassembler pour faire prendre conscience de notre force collective. Après l’invasion latino ou afrobeat, je pense que notre heure arrive, notamment avec la chanson de Joé Dwèt Filé remixée par Burna Boy. Il faut maintenant réfléchir à la meilleure façon de structurer cette présence pour que notre son devienne une véritable invasion mondiale, et ainsi continuer à faire vivre notre culture.
Quelle place pour les genres musicaux haïtiens dans la reconnaissance internationale ?
Pensez-vous qu’il soit important de privilégier certains genres plus que d’autres, ou que la véritable authenticité de certains styles, comme le konpa, soit mise à mal lorsqu’ils dépassent la communauté haïtienne ?
Marabou : Le konpa existe depuis 70 ans. Il a déjà fait ses preuves à l’international, c’est le genre qui nous représente aujourd’hui. Beaucoup d’artistes et de groupes se sont illustrés dans cette veine, notamment le célèbre « konpa dirèk ». Mais il existe aussi d’autres sons, issus du street de Port-au-Prince, moins connus mais tout aussi puissants. Ces différentes textures musicales sont souvent moins visibles, mais tout aussi influentes.
La musique, c’est surtout une question de jeunesse. Le hip-hop, par exemple, a été inventé par des jeunes. Le rock, le blues, le jazz, tous ont été créés par des jeunes. La culture haïtienne doit laisser place à la créativité des générations montantes. Si le konpa a 70 ans, il ne doit pas freiner l’émergence de nouveaux sons, autrement dit, il faut accepter qu’il évolue et s’adapte pour continuer à nourrir la scène musicale locale et internationale.
Rôle des non-artistes dans la diffusion de la culture haïtienne
Comment ceux qui ne sont pas performeurs peuvent-ils contribuer à faire avancer cette culture ?
Marabou : Les Haïtiano-Américains ont déjà beaucoup œuvré pour faire flotter nos couleurs. Aujourd’hui, on voit de plus en plus d’artistes sur scène, lors de festivals ou en streaming, brandissant leur drapeau haïtien. C’est une fierté collective. Sur Internet, on voit aussi des Haïtiano-Américains arborant fièrement leur identité. Maintenant, même ceux en Haïti s’impliquent. Cela montre notre unité et notre amour pour notre culture.
Les coulisses : enjeux et perspectives
L’aspect économique de la musique haïtienne
Quel est l’état actuel du secteur, notamment en termes de rémunération et de reconnaissance ?
Marabou : Une chose essentielle serait que lorsqu’un artiste haïtien diffuse sa musique à la radio ou en streaming, il touche ses royalties. Ce n’est pas encore une réalité, mais c’est crucial pour avancer. Être présent dans les tops des charts ou à Billboard, c’est possible, mais il faut que les communautés qui diffusent en rotation intensive soient surveillées. La composition des charts dépend à la fois des diffusions radio et des écoutes en streaming.
Le fait qu’un artiste comme Joé Dwèt Filé ait été nommé aux BET Awards montre qu’on peut ouvrir des portes. Mais il faut aussi réussir à faire entrée d’autres artistes et productions par cette même porte.
Le rôle de plateformes comme Audiomack dans cette dynamique
Marabou : Audiomack est très important, surtout pour les régions où l’accès à Internet est limité, comme Haïti ou certains pays africains. J’aide à certifier les profils d’artistes haïtiens, à faire apparaître leurs pages officielles sur l’application, et à veiller à ce que leurs streams soient correctement comptabilisés. J’organise aussi des playlists comme Discover Global, Caribbean, et konpa, afin d’intégrer la musique haïtienne dans un contexte plus large, car le konpa reste la référence principale.
Et puisque les supports physiques ont disparu, ces plateformes mobiles deviennent essentielles. En Haïti, Audiomack est devenue un des principaux moyens d’écoute.
Comment gérer sa carrière tout en œuvrant en coulisses ?
Marabou : Je cumule plusieurs fonctions. J’ai créé ma propre société de production audiovisuelle, je m’occupe aussi du marché haïtien, en faisant notamment le marketing pour le Carnaval du 1er mai. Je m’occupe aussi de l’enregistrement et de la gestion logistique pour des événements culturels, en veillant à faire connaître la culture haïtienne. J’ai travaillé avec Konpa Kingdom, j’organise aussi des réservations pour des artistes de notre scène, et je suis la chargée des relations publiques pour Wyclef à New York. En somme, tout tourne autour de la promotion d’Haïti, via la presse, les blogueurs, et la visibilité médiatique.
Une nouvelle génération qui s’impose
Pran Plezim : un nouveau hit aux influences authentiques
Marabou : C’est un rabòday signé Andy Beats. Je voulais rester fidèle à la culture dans tous ses aspects. Lors de mon voyage en Haïti, j’ai été frappée par la jeunesse et l’énergie dans la rue, où tout semblait vibrer au rythme du rabòday. Je me suis dit : « C’est ça que je veux faire. »
Pour moi, la musique est simple : il ne faut pas overpenser. La musique, c’est instinctif. Et notre culture, elle est aussi sérieuse et authentique. Nous sommes des gens passionnés. Mon premier morceau de rabòday s’appelle « Belfam ». Je vais aussi sortir du konpa, car c’est le son qui parle à l’international. Mais le konpa ne sert pas forcément à faire émerger de nouveaux artistes. C’est collectif qui porte un mouvement. Quand on écoute une playlist afrobeat, on a du choix, du déploiement. Lorsqu’est arrivé le reggaeton, une multitude de chansons ont vu le jour. Ce n’est pas une question d’artiste, mais de son. C’est pour ça que je reste fidèle à l’arrière-scène. Je ne veux pas limiter la créativité, au contraire, je veux ouvrir la voie à la diversité musicale. La musique haïtienne doit continuer à évoluer, et on ne doit pas empêcher cette évolution.
Perspectives et avenir
Vous gérez autant la scène musicale que la production de contenu, comment faites-vous face à ces deux réalités ?
Marabou : Je mène plusieurs activités. J’ai une société de production, je travaille aussi pour faire connaître le marché haïtien. Je suis impliquée dans l’organisation d’événements comme le Carnaval, je veille à ce que les artistes portent haut les couleurs d’Haïti lors des festivals. Je suis aussi la porte-parole de Wyclef à New York et je collabore avec les élus et la presse, pour que la culture haïtienne ne soit pas oubliée. Tout ça, c’est pour faire rayonner notre identité.
La scène musicale haïtienne à l’heure actuelle
Votre ressenti sur cette période et sur la progression de la culture musicale haïtienne ?
Marabou : Nous sommes en plein dans notre moment. Haitians are doing really well, même si nous devons encore apprendre à mieux communiquer à l’échelle mondiale. Il faut que le grand public comprenne que notre culture évolue, se modernise, mais reste profondément ancrée dans ses racines. Ce qui me motive, c’est cette envie de faire connaître notre richesse, notre liberté artistique, et de créer cette unité qui nous permettra d’avancer encore plus vite.
Une dernière réflexion
Vous souhaitez ajouter quelque chose que nous n’avons pas encore abordé ?
Marabou : “L’union fait la force.” La force vient de la solidarité. On ne sera pas réellement libres tant qu’on n’aura pas su unir nos voix, nos énergies. Si cette devise est inscrite sur notre drapeau, c’est que nous devons en vivre. Je crois que le destin essaie de nous y pousser, que l’univers et Dieu nous obligent à respecter cette union. Il faut que tous ensemble, on entreprenne d’aider notre pays, de soutenir ceux qui œuvrent pour sa libération. En 1804, nos ancêtres ont laissé leur marque, ils ont brisé leurs chaînes. Aujourd’hui, chaque jour, de belles actions contribuent à faire avancer Haïti. Il ne faut pas perdre de vue ces acteurs méconnus, qui travaillent dans l’ombre, mais qui font aussi la différence.
Remerciements
Un grand merci à Mickael pour cette échange enrichissant.