Le Conseil de Transition Présidentielle et le Gouvernement d’Haïti abandonnent le projet de réforme constitutionnelle
Le 9 octobre dernier, lors d’une réunion du Conseil des Ministres, le Conseil de Transition Présidentielle (CPT) et le gouvernement haïtien ont décidé de renoncer à leur plan de révision de la Constitution de 1987. Cette décision marque la dissolution du Comité de Pilotage pour la Conférence Nationale et le Référendum Constitutionnel, qui étaient au cœur de cette initiative depuis plus d’un an.
Ce recul met un terme à une période longue de consultations publiques, de forums et de débats politiques qui ont coûté plusieurs millions de gourdes, sans apporter les résultats escomptés. La décision tombe à seulement quatre mois de l’expiration du mandat du CPT, fixé au 7 février 2026. Elle intervient également dans un contexte de critiques croissantes concernant la légalité et la légitimité du projet, mais aussi en raison des dépenses élevées, des affaires de corruption, des distractions politiques, et de l’absence de progrès sur les priorités essentielles du pays : sécurité, secours humanitaire, santé et organisation d’élections libres et crédibles.
« Suite à une délibération du Conseil des Ministres : il n’y aura pas de référendum », a déclaré Jacques Ambroise, porte-parole du CPT. « Nous organiserons les élections conformément à la Constitution de 1987, malgré tous les problèmes que celle-ci comporte. »
Une réforme abandonnée sous la pression des États-Unis et face à la montée de la violence
Ce revirement du CPT intervient après plusieurs mois de pressions croissantes de la part des États-Unis et des partenaires internationaux, qui encouragent désormais le focus sur la restauration de la sécurité et la tenue d’élections, plutôt que sur la réécriture de la Constitution.
Henry Wooster, chargé d’affaires américain en Haïti, a récemment exhorté les autorités haïtiennes à présenter un calendrier électoral précis, en avertissant que « les positions politiques ne sont pas gravées dans le marbre pour l’éternité. »
La décision traduit également la gravité de la crise haïtienne : près de 90% de Port-au-Prince est désormais sous le contrôle de groupes armés, et de vastes zones de l’Artibonite restent inaccessibles en raison des affrontements quotidiens. Plus de 1,3 million de personnes ont été déplacées, et les besoins humanitaires, notamment en nourriture et en soins médicaux, atteignent des niveaux record, selon l’ONU.
Les analystes politiques soulignent que cette décision du CPT marque une reconnaissance croissante du fait que le pays ne peut pas se permettre un autre épisode de réforme politique polémique alors que la population exige avant tout la sécurité et la mise en place de services essentiels.
« Organiser un référendum est désormais considéré comme un obstacle à la poursuite du processus électoral en cours », explique Camille Occius. « Le gouvernement devrait reconnaître son incapacité à le réaliser et, par conséquent, envisager de réviser le mandat du Conseil Électoral Provisoire (CEP). »
« Cette révision devrait lui permettre d’établir un calendrier clair pour l’organisation d’élections générales dans un environnement sécurisé », ajoute-t-il sur X (anciennement Twitter).
« Suite à une délibération du Conseil des Ministres : il n’y aura pas de référendum. Nous organiserons les élections conformément à la Constitution de 1987, malgré tous les problèmes que celle-ci comporte. »
Jacques Ambroise, porte-parole du CPT
De nombreux fonds ont été dépensés sans que des avancées notables soient réalisées sur les enjeux majeurs du pays.
Les efforts de réforme constitutionnelle engagés par le comité de pilotage ont mobilisé environ 600 millions de gourdes (environ 5 millions de dollars). Ces fonds, gérés via un compte du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), ont été utilisés pour organiser des forums publics dans tout Haïti et dans la diaspora afin de recueillir l’avis des citoyens.
Pourtant, cette démarche a manqué de transparence et de responsabilité. Des membres du comité auraient perçu des indemnités pouvant atteindre 700 000 gourdes (environ 5 400 dollars) par mois, sans qu’aucun rapport financier détaillé n’ait été publié.
L’économiste Emmanuella Douyon critique cette initiative comme un exemple supplémentaire de gaspillage des fonds publics :
« À chaque changement de gouvernement, certains profitent de la mise en place d’une nouvelle Constitution et d’un référendum pour s’enrichir », écrit-elle sur X. « Il faut faire la lumière sur l’argent dépensé et sur qui en a bénéficié. Nous n’avons pas de budget pour la sécurité ou la police, mais il y a toujours de l’argent pour les ‘abolotchos’ (les politiques démagogues) et les consultants. »
De son côté, l’étudiant en droit Claudy Barthol qualifie cette démarche de « détournement malicieux des fonds publics ».
« On savait dès le départ que cela n’aboutirait à rien, mais il fallait dépenser cet argent », affirme-t-il. « Quelles fautes cette nation a-t-elle commises pour mériter ces gaspillages incessants ? »
Une nouvelle tentative de réforme, encore une fois signalée, dans un contexte d’urgence électorale et de priorités fondamentales
Le projet de réforme de la Constitution remonte à la fin du mandat du président Jovenel Moïse, qui avait lancé une démarche similaire en 2020, en créant un Comité Consultatif Indépendant composé de six membres. Son objectif était de supprimer le poste de Premier ministre, de renforcer les pouvoirs du président, et d’accroître la participation politique de la diaspora. Cependant, cette initiative a été jugée anticonstitutionnelle et purement opportuniste par ses détracteurs.
En février 2021, le gouvernement haïtien a déboursé 20 millions de dollars pour financer à la fois le référendum constitutionnel et les élections générales, avant de verser 9 millions de dollars supplémentaires pour l’achat de matériel non sensible. Au total, le budget prévu pour ces opérations s’élevait à environ 125 millions de dollars, gérés via un fonds global administré par le PNUD, dont l’utilisation demeure partiellement documentée.
Mais ce scrutin n’a jamais eu lieu, en raison de l’instabilité politique et de multiples reports d’élections.
L’assassinat de Jovenel Moïse en juillet 2021 a coupé court à ce processus, empêchant la tenue du référendum envisagé. Par la suite, le CPT a cependant ravivé ce projet, en y consacrant de nouveaux fonds pour un programme que beaucoup considéraient comme peu pertinent face à la crise profonde qu’affronte Haïti.
Le dernier projet de réforme, soumis en août 2025, évoque une présidence commune de président et vice-président, la nomination de gouverneurs départementaux et une réduction de la représentation au parlement. Cependant, ses détracteurs le jugent incohérent et peu apte à traiter les vrais défis du pays, comme la corruption et l’effondrement institutionnel.
« La nation a perdu du temps, de l’argent, et une occasion rare de corriger les failles de la Constitution de 1987 », déplore le journaliste Frantz Duval. « Ce projet ressemblait à un patchwork incohérent plutôt qu’à une véritable réforme pratique. »
Avec l’abandon de cette réforme constitutionnelle, l’attention se tourne désormais vers le processus électoral, même si aucune date n’a encore été fixée. Le Conseil Électoral Provisoire (CEP) travaille depuis environ neuf mois à la préparation logistique des prochaines élections, sans toutefois avoir reçu d’autorisation officielle pour commencer les opérations.
Selon le porte-parole du CPT, Ambroise, la tenue d’élections reste impossible sans une sécurité assurée dans des régions comme l’Ouest et l’Artibonite, où la présence des gangs paralyse les mouvements et coupe plusieurs localités de la capitale.
Malgré ces obstacles, la communauté internationale continue de faire pression pour faire avancer le processus. La Force de maintien de l’ordre contre les gangs, récemment approuvée par l’ONU et attendue pour un déploiement début 2026, pourrait contribuer à créer un terrain favorable au scrutin présidentiel.
Cela dit, beaucoup d’Haïtiens restent sceptiques, rappelant que toutes les missions étrangères précédentes n’ont pas permis d’instaurer une paix durable dans le pays.
Les critiques et observateurs soulignent que les derniers mois du CPT doivent être consacrés à des priorités nationales essentielles, que la population haïtienne considère comme indispensables pour redresser la démocratie.
Entre mars et juin, une initiative nommée Congrès Patriotique pour le Secours National (CPSN), menée par des universitaires et des acteurs de la société civile issus de toutes les régions du pays et de la diaspora, s’est concentrée sur trois priorités majeures : la sécurité, la gouvernance et la transition politique.
Ce Congrès, rassemblant plus de 1 000 participants issus de tous les départements haïtiens et de la diaspora, a appelé à l’élaboration d’une stratégie nationale contre l’insécurité, à la restructuration du Conseil Électoral pour redonner confiance aux citoyens, à la suspension du processus référendaire, ainsi qu’à un audit de l’Office National d’Identification (ONI) afin d’assurer la crédibilité des futurs scrutins.
Une transition qui s’épuise alors que le temps joue contre le CPT
Créé dans le cadre de l’Accord du 3 avril, avec le soutien de la Communauté Caribéenne (Caricom), des États-Unis et des acteurs politiques haïtiens, le CPT avait pour mission de rétablir la sécurité, d’organiser des élections et un référendum, et de relancer l’économie nationale.
Mais, à quatre mois de l’échéance de son mandat, aucun de ces objectifs n’a été atteint.
L’économie haïtienne est entrée dans sa sixième année consécutive de récession, et la confiance publique envers le gouvernement de transition ne cesse de diminuer.
À l’approche de la date limite du 7 février 2026, nombreux sont ceux qui estiment que la décision de mettre fin à la réforme constitutionnelle est une étape pragmatique. Toutefois, si elle ne conduit pas à des progrès sur le processus électoral, elle risque simplement d’être ajoutée à la liste des promesses non tenues.