Le groupe « Masisi » émerge des coulisses de Miami pour valoriser l’identité queer haïtienne

12 octobre 2025

Le groupe « Masisi » émerge des coulisses de Miami pour valoriser l’identité queer haïtienne

Une jeunesse hardie dans le sud de la Floride, à l’origine d’un mouvement musical et culturel engagé

Pendant son enfance à Lake Worth, en Floride, située à environ 100 kilomètres au nord de Miami, Akia Dorsainvil a appris très tôt à ne pas reculer face aux difficultés ni à masquer son identité. Lorsqu’il était petit, si des enfants du voisinage cherchaient à le taquiner ou à l’intimider, sa mère lui rappelait alors qu’il fallait lui ramener sa bravoure dehors et lui donner sa chance de se défendre. Aujourd’hui, Dorsainvil se remémore ces moments avec fierté.

« Ma mère ne m’a jamais éduqué pour devenir un lâche ou un faiblard », confie le DJ, organisateur et artiste qui a fondé le collectif Masisi, un regroupement d’événements et une radio centrés sur l’expérience queer black caribéenne. « J’ai toujours été ce type de gars, le plus fort, celui qu’on n’ose pas challenger. »

Ce mélange de confiance en soi et de témérité a joué un rôle clé dans la création de Masisi, qui a pour ambition de réinventer la scène nocturne queer en l’adaptant à la diaspora haïtienne et caribéenne. Dorsainvil, dont le père est haïtien et la mère d’origine afro-américaine, a conçu cette plateforme comme un espace d’expression où l’énergie intrépide de ses membres peut s’investir dans l’art, l’engagement communautaire et la célébration. Il a également choisi le nom du collectif comme une démarche de récupération, pour transformer l’insulte « masisi », autrefois utilisée comme une insulte homophobe en Créole, en un symbole de fierté. Auparavant assimilée à une caractéristique négative, cette expression a été réappropriée pour signifier la confiance, l’expression sans retenue et la différence assumée.

« On m’a déjà appelé comme ça, alors j’ai dit, ‘Très bien, je vais le devenir. Mais je vais en faire quelque chose de beau, de sexy même’, » explique Dorsainvil, qui a 31 ans. « Ce mot était utilisé pour nous faire honte, mais aujourd’hui, c’est notre force. »

Une invitation à combattre la stigmatisation et à célébrer la différence

C’est en 2019 que l’idée de transformer cette insulte historique en un symbole de fierté s’est concrétisée. Après plusieurs années à organiser des fêtes clandestines comme des shows de drag, des rave dans des centres commerciaux abandonnés ou des rassemblements nocturnes, Dorsainvil a décidé de rassembler une petite équipe de 17 personnes pour associer danse, spiritualité et fierté culturelle.

Son objectif n’était pas seulement d’organiser des événements, mais de bâtir un héritage de lien, de joie et de libération. Il voulait offrir une alternative aux tabous véhiculés par certaines églises et aux codes souvent restrictifs de la culture gay dominante, qui avait tendance à marginaliser la Quérité haïtienne.

Six années plus tard, Masisi s’apprête à prendre la scène principale lors d’un festival de musique électronique où il sera présent pendant 12 heures d’affilée, les 17 et 18 octobre. Avec une audience prévue à 50 000 spectateurs, la participation de Masisi au festival III Points à Halo 88 représente une étape rare : pour la première fois, des artistes queer antillo-caribéens sont à la tête d’une programmation aussi importante, et Dorsainvil qualifie cette étape de « passage officiel ». 

« Je suis là. Je le serai toujours. Je suis et je resterai présent », affirme Dorsainvil. « Tel est le message de Masisi. »

« Même si la liberté n’est que le temps d’une soirée, cinq heures ou moins, c’est déjà beaucoup. Et cette liberté est authentique. »

Une explosion de bonheur et de bénédictions partagées

Les premières fêtes organisées par Masisi se tenaient souvent au centre commercial 777 Mall, dans le quartier downtown de Miami, devenu un véritable foyer artistique après sa conversion en espace d’ateliers pour artistes queer. Lors de ces soirées, une drag queen mimait en lip-sync un konpa tout en agitant un drapeau haïtien, tandis que la foule chantait à tue-tête et que des machines à fumée emplissaient la salle. Entre les performances, certains prenaient le micro pour évoquer la protection des jeunes trans, et la foule répondait par des applaudissements enthousiastes.

Au-delà de la musique, Masisi intègre des traditions vodou, des rituels ancestraux et des commémorations culturelles comme Bwa Kayiman, où les participants s’habillent de blanc, dansent sur des musiques qui ont historiquement libéré leur peuple, tout en expérimentant des sons produits par de jeunes artistes queer black.

« C’est une musique du futur », explique Dorsainvil. « Mais elle est profondément ancrée dans le passé : la musique de danse des esclaves transformée en bandes-son de la libération. »

Pourtant, le collectif a dû faire face à de nombreuses résistances : venir aussi bien de la communauté noire globale que des cercles haïtiens, sans oublier une ville qui ne s’ouvre pas totalement à la présence black queer. En réponse, Masisi s’est alimenté d’un discours ouvert sur la « joie queer black » et s’est efforcé de mettre en avant ceux qui sont souvent marginalisés, notamment les personnes trans et queer à peau foncée, même dans certains espaces LGBTQ+.

Devenu plus qu’un simple rassemblement festif, Masisi s’est peu à peu imposé comme un véritable sanctuaire, une réponse collective à la fois à la discrimination et à la marginalisation. Malgré la scène grandissante de la vie queer à Miami, c’est dans ces espaces où la communauté black queer et trans d’origine caribéenne trouve refuge, résistance et force.

Les participants, énergiques et rayonnants, lors d’une soirée sous la pluie à Miami en avril 2024. Photo avec l’aimable autorisation de Masisi

« La première fois que j’ai assisté à un événement Masisi, c’était en été 2021, lors d’un petit rassemblement », se souvient Lady Narcisse, une participante haïtienne. « En entrant, j’ai ressenti pour la première fois ce sentiment d’appartenance. Chaque événement Masisi, du tout premier au dernier, est une bénédiction pure, une expérience spirituelle, une source d’harmonie et de force. »

Pour d’autres, le collectif a offert une voie inattendue, révélant leur propre potentiel de transformation.

« Masisi m’a accueilli à bras ouverts, en me laissant la liberté d’explorer un art qui était encore très nouveau pour moi », raconte Tia, DJ haïtienne et animatrice de l’émission Lakou Dlo sur la radio Masisi. « C’est une expérience transformatrice. »

« C’est comme une seconde maison, sans que ce soit une contrainte. La musique, l’énergie, l’atmosphère — chaque fête respire la vie », ajoute-t-elle.

Yoly Belizaire, autre habituée haïtienne, évoque avec émotion une fête en rooftop en juin 2022.

« Je n’oublierai jamais Juneteenth 2022. Nous étions tous habillés en blanc. Sur cette piste de danse, tout semblait s’être transformé en un plan spirituel supérieur. »

« Dans les espaces hétéronormés, il y a toujours cette pression à performer, à jouer un rôle. Mais à Masisi, on peut enfin déposer le masque, être soi-même, pleinement présent », souligne Belizaire.

Pour Sunny Fisher, un·e nouvel·le arrivant·e, la musique mêlant rythmes afro-caribéens, rara haïtien, konpa, avec des influences électroniques, house ou ballroom, possède une puissance profondément ancestrale et futuriste à la fois. Bien que créée pour une communauté caribéenne, cette musique ouverte accueille aussi des amateurs de sons vintage, de musique expérimentale ou de styles plus anciens, allant du disco à la rave.

« Mon premier événement, c’était Art Basel 2022. En entrant, j’ai pensé : “Wow, je n’ai jamais entendu de tels sons auparavant”. La joie était constante. Chaque soirée Masisi donne ce même sentiment : celui d’un bonheur sans fin », partage Fisher.

Pose affirmée sous l’objectif fisheye, deux personnes rayonnantes de puissance et de résilience lors d’une soirée à Miami en avril 2024. Photo avec l’aimable autorisation de Masisi

Donner au collectif la voix et le fonds de soutien pour la guérison et la résistance

En 2024, Masisi a lancé Masisi Radio, une plateforme de diffusion en ligne qui a déjà publié plus de 100 épisodes, documentant la communauté à travers des mix, des interviews et des levées de fonds. L’objectif est de sauvegarder cette étape importante de l’histoire communautaire, tout en permettant aux artistes de toucher un public aux États-Unis, dans la Caraïbe et à Londres.

La radio sert aussi à la réalisation d’un fonds de protection, une opération de financement participatif (telethon) organisée pour soutenir un membre de la communauté confronté à un changement de statut migratoire. Ce live, diffusé sur YouTube et Twitch le 28 septembre 2025, a permis de collecter des fonds destinés à couvrir les frais juridiques de personnes LGBTQ+ noires victimes de violences liées à leur immigration ou exposées à l’insécurité en matière de logement.

Lors du prochain festival III Points, Masisi occupera sa propre scène, Halo 88, pour y présenter des artistes locaux issus de la scène underground électronique de Miami. Pour la première fois, de jeunes DJ haïtiens, accompagnés de figures emblématiques comme Sean Paul, prendront la parole, marquant une étape importante dans la reconnaissance de Masisi. 

« Nous faisons place à l’esprit dans ces espaces », affirme Dorsainvil. « Parce que la joie queer noire est sacrée. Parce qu’elle transforme les espaces de douleur en espaces de célébration, en rappelant les traditions culturelles où musique et danse sont autant des formes de culte que de guérison. »

Naïla Saint-Fleur

Naïla Saint-Fleur

Je suis Naïla Saint-Fleur, journaliste pour Kapzy News et passionnée par les récits qui révèlent la complexité d’Haïti et de la Caraïbe. À travers mes articles, je cherche à donner du sens à l’actualité et à faire entendre les voix de celles et ceux qui construisent le pays au quotidien. L’écriture est pour moi un acte d’engagement et de transmission.