Haïti lance un programme de littératie de 20 millions de dollars pour 1,5 million d’adultes

10 octobre 2025

Haïti lance un programme de littératie de 20 millions de dollars pour 1,5 million d'adultes

Haïti lance un vaste programme de lutte contre l’analphabétisme avec un budget de 20 millions d’euros

PORT-AU-PRINCE — Le Bureau de la Secrétaire d’État à l’Alphabétisation et à l’Éducation Non-Formelle (BSE-AENF) en Haïti a annoncé la mise en œuvre d’un plan ambitieux destiné à enseigner la lecture et l’écriture à 1,5 million de personnes au cours de l’année prochaine. La somme allouée pour ce projet s’élève à 2,7 milliards de gourdes, soit environ 20,8 millions de dollars. Il s’agit d’une avancée majeure pour un pays où près d’un citoyen sur quatre ne sait ni lire ni écrire.

Ce programme, planifié pour se dérouler d’octobre 2025 à septembre 2026, vise à inverser plusieurs décennies de stagnation en matière de lutte contre l’analphabétisme. Cependant, la réussite de cette initiative repose, selon les responsables, sur la capacité de l’État à mobiliser et déployer les fonds promis, qui restent à ce jour non encore totalement débloqués.

« Tant que nous pourrons assurer ces ressources, je tiens à rassurer tout le monde : le travail d’alphabétisation sera mené à bien et avec succès », déclare Mozart Clérisson, nouveau Secrétaire d’État à l’Alphabétisation, lors d’un entretien accordé à La Haïtian Times le 22 septembre 2025.

Le projet prévoit la création de 10 centres de coordination dans chaque département, le lancement de campagnes de sensibilisation, la mise en place de moyens de transport pour les éducateurs en alphabétisation, ainsi que la formation d’environ 50 000 formateurs et superviseurs. Des sessions de formation ont déjà été entamées dans les régions de l’Ouest, du Nord-Ouest et de l’Artibonite, tandis que des populations analphabètes sont identifiées dans chaque département.

Cependant, malgré ces préparatifs, le plan repose actuellement sur des promesses de financement dont la réalisation reste incertaine. « La garantie des ressources provient du budget de l’État », explique Clérisson. « Nous attendons donc que le moment soit venu pour lancer la mise en œuvre du programme tel que défini par le gouvernement. »

Un défi de longue haleine : un cycle d’oubli et de négligence à l’assaut de l’éducation

Plus de 2,5 millions d’Haïtiens — sur une population estimée à près de 12 millions — sont analphabètes, selon les données officielles de 2024. À elle seule, la région de l’Ouest affiche un taux d’analphabétisme de 34 % auprès de ses quelque quatre millions d’habitants.

Le département de l’Artibonite se classe en seconde position avec un taux de 15 %, concernants près de deux millions de résidents.

Ce fossé en matière d’alphabétisation reflète la crise plus large que traverse le système éducatif haïtien. Selon les chiffres des Nations Unies, 1 600 écoles ont fermé depuis avril, affectant environ 243 000 élèves, pendant que plus de 1,3 million de personnes ont été déplacées à l’échelle nationale par la violence des gangs. Beaucoup de centres d’alphabétisation sont situés dans des zones désormais contrôlées par des groupes armés, compliquant davantage l’accès à l’éducation.

« Tant que nous pourrons assurer ces ressources, je souhaite rassurer tout le monde : le travail d’alphabétisation sera mené à terme et avec succès. »

Mozart Clérisson, Secrétaire d’État à l’Alphabétisation

Créé en 1994, le bureau de l’alphabétisation a connu de longues années de lutte pour remplir sa mission. Chaque nouveau gouvernement lance de nouvelles initiatives, souvent sans continuité. Clérisson lui-même a dirigé cette structure en 2015 et revient aujourd’hui avec ce qu’il qualifie de « nouvel engagement » pour lutter contre l’analphabétisme à l’échelle nationale.

« Pour un pays qui veut avancer, l’éducation doit être la pierre angulaire », explique-t-il. « Faute d’un nombre suffisant de personnes instruites, le pays recule inévitablement. Il faut agir pour réduire le nombre de personnes qui ne savent ni lire ni écrire afin que le pays progresse. »

Depuis les années 1970, le nombre d’analphabètes oscille entre 2 et 3 millions, en dépit des divers programmes de lutte contre l’illettrisme déployés au fil du temps, souvent en raison de la croissance démographique. Selon l’UNESCO, Haïti demeure parmi les pays ayant le plus faible taux d’alphabétisation en Amérique latine et dans les Caraïbes. En 2016, quelque 366 000 jeunes âgés de 15 à 24 ans étaient encore illettrés, un chiffre qui a peu évolué au cours de la dernière décennie.

Cependant, l’Article 39.2 de la Constitution impose à la République haïtienne de prendre toutes les mesures nécessaires pour renforcer les campagnes massives d’alphabétisation.

La sécurité déclinante du pays a profondément fragilisé son système éducatif. Depuis 2021, les gangs ont étendu leur contrôle à plus de 90 % de la capitale, coupant l’accès aux écoles et aux administrations publiques. Dans plusieurs régions, les enseignants en alphabétisation hésitent à pénétrer dans des quartiers contrôlés par des groupes armés.

La nouvelle campagne d’alphabétisation, aussi ambitieuse soit-elle, doit faire face aux mêmes risques qui ont empêché la réussite de plusieurs efforts passés : instabilité politique, ressources insuffisantes et absence de planification à long terme.

Un défi politique pour éradiquer pauvreté et exclusion sociale

Au-delà de la simple acquisition de la lecture et de l’écriture, le programme de la BSE-AENF prévoit également des « post-alfabétisation » pour accompagner les adultes dans la poursuite de leur éducation ou de formations professionnelles. Cela dit, les acteurs de l’éducation soulignent que sans financement durable et garanties de sécurité, cette initiative pourrait connaître le même sort que celles qui l’ont précédée.

En 2019, l’UNESCO soulignait que réduire le taux d’analphabétisme d’ici 2030 constitue une étape essentielle pour atteindre un développement durable en Haïti.

« L’alphabétisation n’est pas qu’un objectif éducatif, c’est un projet politique, social et économique. »

Antoine Augustin, Ministre de l’Éducation

« Ce n’est pas seulement une promesse en l’air », insiste Clérisson. « Si nous obtenons les ressources, nous livrerons le travail. »

Les experts insistent sur le fait que l’analphabétisme favorise la pauvreté et l’exclusion sociale, nourrissant les troubles qui secouent actuellement Haïti. La violence obligeant de nombreuses familles à quitter leurs foyers, et la fermeture des écoles, le rêve d’une alphabétisation massive, tant espéré, demeure fragile et incertain.

Ce défi de longue haleine a été mis en avant par Antoine Augustin, qui, en septembre lors de la 59e Journée internationale de l’alphabétisation, a déploré que malgré plus de 80 années d’efforts répétés, l’analphabétisme reste encore très répandu.

« L’alphabétisation n’est pas qu’un simple objectif éducatif », a déclaré Antoine Augustin. « C’est un projet politique, social et économique qui doit mobiliser toute la société. »

Naïla Saint-Fleur

Naïla Saint-Fleur

Je suis Naïla Saint-Fleur, journaliste pour Kapzy News et passionnée par les récits qui révèlent la complexité d’Haïti et de la Caraïbe. À travers mes articles, je cherche à donner du sens à l’actualité et à faire entendre les voix de celles et ceux qui construisent le pays au quotidien. L’écriture est pour moi un acte d’engagement et de transmission.