Haïti compte désormais 6 millions d’électeurs malgré les déplacements massifs, selon les autorités

13 septembre 2025

Haïti compte désormais 6 millions d’électeurs malgré les déplacements massifs, selon les autorités

Haiti : près de 6,3 millions d’électeurs enregistrés, mais l’avenir électoral reste incertain

Port-au-Prince – La Direction Nationale d’Identification (ONI) en Haïti a annoncé mercredi que près de 6,3 millions d’habitants du pays, en âge de voter, possédaient désormais une carte d’identité nationale. Ce document, en théorie indispensable pour pouvoir participer à une élection, représente une étape importante dans le processus de reconstruction démocratique. Cependant, cette déclaration met également en lumière la contradiction profonde qui caractérise la situation politique haïtienne aujourd’hui : une liste croissante d’électeurs enregistrés sans qu’un chemin clair et sécurisé vers des élections crédibles ne soit réellement tracé.

Ce chiffre, qui concerne environ 85 % des 7,4 millions d’habitants en âge de voter sur un total d’environ 11,9 millions d’habitants, a été communiqué lors d’une rencontre avec Louis Gérald Gilles, membre du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), lors de sa visite au siège de l’ONI. Gilles a qualifié cette progression de “pas important” pour des élections qui restent toujours sans date précise.

“Au nom du Conseil Présidentiel de Transition, j’ai réitéré mon soutien au processus électoral, qui est crucial pour la restauration de l’ordre démocratique et de la stabilité dans le pays,” a déclaré Gilles sur X, la plateforme de réseaux sociaux, après l’entretien.

“J’ai conseillé à l’institution de se fixer des objectifs clairs, à court et à long terme, afin de renforcer la crédibilité du système d’identification national.”

Malgré ces chiffres record fournis par l’ONI, aucune donnée n’a été encore publiée concernant l’enregistrement électoral dans la diaspora. Les responsables gouvernementaux se contentent d’affirmer que des bureaux ont également été créés à l’étranger, mais sans donner de chiffres précis ou de dates.

Les autorités saluent les efforts de l’ONI pour étendre la distribution des cartes d’identité. Cependant, cette avancée se fait dans un contexte de chaos et de violence. Selon l’ONU, plus de 1,3 million d’Haïtiens ont été déplacés par la violence des gangs, laissant beaucoup sans domicile fixe, sans stations de vote sécurisées, ou même sans accès évident au scrutin.

À Port-au-Prince, les gangs contrôlent environ 90 % du territoire, y compris plusieurs quartiers abritant des bureaux électoraux et des centres de vote. Dans plusieurs villes de provinces aussi, la situation est similaire : les routes principales étant bloquées, beaucoup de déplacés vivant dans des abris ou des camps de fortune déclarent que participer à une élection ne leur apparaît pas comme une option prioritaire alors qu’ils luttent chaque jour pour se procurer nourriture, eau et sécurité.

Des électeurs enregistrés, mais des élections sans sécurité ?

Alors que l’ONI poursuit ses opérations mobiles, avec plus de 150 bureaux locaux ouverts pour la délivrance des cartes, le Conseil Électoral Provisoire (CEP) avance plutôt dans ses préparatifs techniques, notamment à travers le recrutement de personnel et la signature d’accords pour la création d’une chaîne de télévision dédiée à la couverture électorale. Pourtant, aucune date pour la tenue d’élections ou de référendum constitutionnel n’a été encore fixée.

Selon les responsables, une des stratégies consiste à déployer des caravanes mobiles de l’ONI dans différentes régions du pays. Depuis février 2025, la caravane a notamment été vue dans le Nord, et en août, elle a atteint la région de la Grand’Anse.

Le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé a récemment indiqué lors d’une réunion au Conseil de sécurité des Nations Unies que la priorité absolue reste le retour de la sécurité. Il a soutenu la résolution proposée par les États-Unis pour transformer la Mission de Soutien Multinationale à la Sécurité (MSS) – dirigée par le Kenya – en une Force de Suppression des Gangs (FSG), affirmant qu’un tel changement était indispensable pour permettre à Haïti d’organiser des “élections crédibles, libres et transparentes.”

Cependant, face à une violence gang qui a fait des milliers de morts cette année seulement, à des quartiers toujours sous contrôle armé, et à une population déplacée encombrant écoles et églises, un grand nombre d’Haïtiens doutent de la faisabilité d’élections dans un avenir proche.

Un référendum controversé en cours de préparation

Le CPT continue aussi d’avancer dans le processus de référendum sur des modifications constitutionnelles, mais cette initiative est vivement contestée. De nombreux avocats, associations de barreaux et représentants de la société civile critiquent cette démarche, la jugeant illégale et illégitime. L’Ordre des Avocats de Port-au-Prince a récemment déclaré que cette procédure était “irrégulière sur le plan juridique et sans légitimité.”

Et d’ajouter que, selon la Constitution haïtienne de 1987, amendée en 2011-2012, toute révision constitutionnelle doit passer par une Assemblée Constitutive, et non par un référendum organisé par des leaders de transition.

“Tenter d’imposer une nouvelle Constitution dans ce contexte serait une violation de l’obligation de la part des autorités politiques actuelles, aussi bien de leur serment que de la Constitution de 1987,” ont affirmé les membres de cette organisation dans une déclaration récente.

Ils ont également souligné que ce type d’acte pourrait être considéré comme une haute trahison, prévue par l’Article 21, et sévèrement punie par la loi — notamment par la réclusion à perpétuité et le travail forcé à vie (Article 21-1).

Les critiques mettent en garde contre les risques d’un référendum précipité : sous ses conditions actuelles, il pourrait encore affaiblir la légitimité du processus, alors que la majorité des citoyens haïtiens reste dans l’incertitude quant à la date ou la possibilité d’élire de nouveaux dirigeants.

Une aide humanitaire insuffisante face à une crise persistante

Malgré les progrès de l’ONI, la situation humanitaire en Haïti demeure préoccupante. Le délégué de l’ONU pour les questions humanitaires, Tom Fletcher, en visite cette semaine, a annoncé une aide supplémentaire de 9 millions de dollars, tout en mettant en garde : les financements sont à “des niveaux historiques très bas.” La levée de fonds opérée dans le cadre de l’appel humanitaire de 908 millions de dollars a recueilli moins de 12 % des fonds nécessaires.

“À Port-au-Prince, j’ai vu l’un des derniers hôpitaux encore en activité, à bout de souffle, contraint de réduire voire de supprimer des soins, notamment en maternité,” a confié Fletcher le 9 septembre sur X. “Des familles ayant tout perdu sont entassées dans des abris, et les femmes et filles en supportent la majeure partie. La souffrance est immense. Haïti a besoin d’un soutien immédiat.”

Un avenir incertain pour le scrutin en Haïti

Pour l’instant, Haïti possède une liste d’électeurs enregistrés, mais aucune date n’a été fixée pour la tenue d’élection. Avec l’expiration du mandat du CPT prévue pour le 7 février 2026, et la situation sécuritaire qui ne fait qu’empirer, la question demeure : les institutions électorales du pays pourront-elles assurer une transition démocratique réelle ? Ou bien, les cartes d’identité souvent chéries, mais difficiles à utiliser dans le contexte actuel, resteront-elles symboliques d’un droit qui n’a toujours pas été concrétisé ?

Depuis 2016, aucun scrutin n’a été organisé en Haïti, ce qui ajoute à l’incertitude et à la méfiance grandissante envers le processus démocratique.

“L’ONI poursuit sa mission de rapprocher la carte d’identité des citoyens haïtiens,” indiquent ses responsables dans une déclaration récente diffusée sur les réseaux sociaux.

“Le but est de faciliter l’accès à la carte nationale d’identité, notamment dans les zones rurales souvent négligées.”

Naïla Saint-Fleur

Naïla Saint-Fleur

Je suis Naïla Saint-Fleur, journaliste pour Kapzy News et passionnée par les récits qui révèlent la complexité d’Haïti et de la Caraïbe. À travers mes articles, je cherche à donner du sens à l’actualité et à faire entendre les voix de celles et ceux qui construisent le pays au quotidien. L’écriture est pour moi un acte d’engagement et de transmission.