Une tragédie qui secoue la région de l’est d’Haïti : l’assassinat de l’avocat Albert Joseph
OUANAMINTHE, Haïti — La disparition de l’avocat Albert Joseph a profondément bouleversé la région de l’est d’Haïti. La colère et la peine montent en flèche alors que les enquêteurs poursuivent leurs investigations sur une affaire qui a débuté par un accident de la route pour ensuite dégénérer dans une querelle violente.
Albert Joseph, âgé de 56 ans, était une figure respectée au sein du Barreau de Fort-Liberté, reconnu pour sa carrière professionnels et son engagement dans la communauté. Le 24 septembre, il a été victime d’une fusillade à quelques pas de chez lui, sur la Rue Espagnole, en face de la succursale de la Banque Union Haïtienne (BUH). Deux hommes à moto lui ont tiré dessus à plusieurs reprises, touchant notamment la tête et le cou. Gravement blessé, il a été rapidement évacué à l’hôpital, mais n’a pas survécu à ses blessures.
Une vie dédiée aux autres et à la communauté locale
En plus de sa profession d’avocat, Albert Joseph était aussi entrepreneur agricole et enseignant dans la région d’Ouanaminthe. Il laisse dans le deuil sa veuve ainsi que ses sept enfants. La tragédie s’est produite alors qu’il était assis dans sa voiture, en face du bureau de la banque locale, un acte qui a choqué toute la communauté locale, déjà en proie à une série d’événements tragiques ces dernières semaines.
Une séquence tragique en lien avec un récent accident de la route
Cela s’est produit seulement un mois après qu’un terrible accident sur la Route Nationale 6 ait causé la mort de trois jeunes hommes, alimentant une vive polémique publique. Les victimes étaient Guempson Saintilnord, 17 ans, Jimmy Otalus, 20 ans, et Mexène Fleurilus, 26 ans. Les familles de ces jeunes ont réclamé une compensation de 60 millions de gourdes (environ 462 000 dollars). Bien que n’étant pas directement impliqué dans l’accident, Albert Joseph a soutenu cette demande, ce qui a provoqué la colère du pasteur Moïse Joseph, non apparenté à la victime mais partageant le même nom.
Ce dernier a nié toute responsabilité dans cette tragédie, rejetant toute connexion entre l’accident et ses affaires, notamment la filière riz KPK (Kanal la Pap Kanpe), à Ouanaminthe, projet controversé construit le long du fleuve Massacre, partagé par Haïti et la République Dominicaine. Le pasteur, lui aussi une figure connue de la région, s’est fait remarquer par son engagement dans ce projet, qui suscite des tensions et des interrogations jusque dans les plus hautes sphères politiques.
Une escalation de la violence et des menaces
Le conflit a rapidement pris une tournure personnelle. Le 12 septembre, Moïse Joseph a publié une vidéo sur les réseaux sociaux, en compagnie d’une douzaine de ses supporters, dans laquelle il attaquait publiquement l’avocat Albert Joseph. Il a diffusé ses coordonnées téléphoniques, en exhortant le public à le harceler et à faire pression sur lui et ses collègues avocats. Il a aussi averti que verser une telle compensation risquerait de mettre à genoux ses affaires.
Selon Moïse Joseph, le Conseil de l’ordre régional, dont le président Etienne est son ami personnel et avocat, ne considérait pas Albert comme avoca, mais comme un paralegal cherchant à profiter de la situation pour s’enrichir. En réponse, Albert a dénoncé Moïse, affirmant qu’il se tenait à l’écart de la polémique et demandant des excuses dans un délai de 48 heures. Ce que le pasteur a refusé de faire. Albert Joseph a expliqué : « Je ne suis pas l’avocat des victimes. Mais mes collègues m’ont sollicité pour des conseils. J’ai simplement conseillé à Moïse de contacter les familles et de résoudre le conflit à l’amiable. »
Les tensions ont continué à monter lorsque, le 17 septembre, Albert a écrit au président du Conseil de l’ordre pour exiger une clarification publique de son statut d’avocat depuis 22 ans, afin de redorer son image ternie par l’attitude de Moïse. Son appel n’a pas reçu de réponse, et une autre lettre datée du 23 septembre a été adressée au conseil, dans laquelle il sollicitait une intervention ferme.
Une tragédie annoncée : l’assassinat d’Albert Joseph
Le lendemain, dans un contexte marqué par une atmosphère de tension, Albert Joseph a été tué dans ce qui apparaît comme un acte prémédité. La communauté locale, profondément choquée, a rapidement organisé des protestations dans les rues d’Ouanaminthe, dénonçant l’impunité et réclamant justice. La scène de son assassinat a été largement documentée, notamment avec des images de citoyens brûlant des pneus et bloquant la circulation pour exprimer leur colère.
Ce drame a également révélé la fragilité de l’état de droit dans la région. La mort d’Albert Joseph n’a pas surpris tout le monde ; certains savaient qu’il était en danger depuis plusieurs semaines, notamment lors d’un entretien qu’il avait accordé à des journalistes moins de deux semaines auparavant, où il avait évoqué le risque qu’il pourrait lui arriver quelque chose.
Les enjeux politiques et l’implication de différents acteurs
Les responsables des forces de l’ordre, dont le commissaire Ronald Eugène, et le commissaire du gouvernement, Charles Édouard Durand, ont rapidement pris en main l’enquête, qui inclut l’examen des images de vidéosurveillance. Deux suspects, Moïse Joseph et Michelle Adrien (épouse d’Étienne), ont été arrêtés dans la foulée, le 25 septembre. Tous deux sont considérés comme les principaux suspects dans cette affaire.
Les détracteurs de cette arrestation ont souligné que Michelle Adrien, selon Étienne, était innocente et aurait été arrêtée à la suite d’une rencontre chez elle avec le pasteur Joseph, juste avant le meurtre. Étienne lui-même a fait savoir qu’il n’avait aucune responsabilité dans la mort de l’avocat, insistant sur le fait que sa femme était impliquée malgré lui.
Par ailleurs, le fils du pasteur, Mackendy Joseph, a fermement défendu la innocence de son père, appelant la justice à agir avec transparence et équité. Il a insisté sur le fait que seule une justice indépendante pouvait garantir la paix et prévenir toute forme d’influence extérieure dans cette affaire.
Soutien et divisions dans la communauté
Les habitants restent divisés sur la culpabilité ou non du pasteur Joseph. Certains estiment qu’il ne pourrait pas commettre un tel crime, tandis que d’autres pensent qu’il aurait été victime d’un complot visant à déstabiliser ses activités agricoles et commerciales. Féguens Wagnac, un des manifestants, a lancé que la production rizicole dans la région aurait été ciblée et que le pasteur a été utilisé comme un bouc émissaire pour couvrir une manipulation plus large.
Une presse unie pour la justice et l’état de droit
Malgré la polémique, les acteurs de la société civile appellent à une enquête approfondie et impartiale. Mirbel Charles, délégué du district d’Ouanaminthe, a insisté sur la nécessité d’une investigation rigoureuse, tandis que Mackendy Josaphat, président du Comité de gestion du canal du fleuve Massacre, a exhorté la justice à poursuivre tous ceux qui, de près ou de loin, ont été impliqués dans cette affaire.
Du côté des responsables locaux, Jacquelin Rubes, ancien président du Barreau de Fort-Liberté, a critiqué le silence de la direction du barreau, menaçant de démission si aucune réaction n’était observée. Il a déclaré : « Si le Conseil du barreau ne démissionne pas, je refuserai de porter la robe d’avocat ou de participer aux obsèques d’Albert. »
Une enquête en cours sous surveillance
Les autorités policières, notamment Ronald Eugène et Charles Édouard Durand, ont commencé à examiner toutes les pistes, notamment en analysant les images de vidéosurveillance recueillies dans le quartier. La communauté reste vigilante et mobilisée, exigeant que justice soit faite pour le défunt, dans un contexte où la violence et l’impunité continuent de miner la stabilité du pays.
Enfin, dans la même dynamique, la police haïtienne a annoncé l’arrestation de deux autres suspects, Ruth Raphael et Johnny Bruno, considérés comme ayant une implication directe dans la fusillade ayant coûté la vie à l’avocat. Les recherches se poursuivent pour faire toute la lumière sur cette affaire qui secoue toute la région de l’est d’Haïti.