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18 mars 2024

Santé en Haïti: quand la justice haïtienne cautionne l’impunité des prestataires de soins pour Non assistance aux personnes en danger

De prime à bord, face au rejaillissement médico-légal des décès récidivants pour cause d’attention hospitalière en Haïti, j’en appelle au vote d’un texte de loi sur l’obligation des soins de santé d’urgence en signe d’hommage et de respect posthumes à madame Sanette Dauphin, la mère de Roody Roodboy ainsi qu’à toutes les victimes de cette injustice gravissime:

Santé en Haïti: quand la justice haïtienne cautionne l’impunité des prestataires de soins pour Non assistance aux personnes en danger

Écrit par Dr Jean Ford G. Figaro

‘’Ce n’est pas les médecins qui nous manquent, mais la médecine’’.
Charles de Secondat, baron de Montesquieu.

Porter secours à toute personne dont la vie est en péril. Je me joins à la consternation de toute la société pour dénoncer et accuser les acteurs haïtiens de la santé publique pour leur cynisme et concupiscence au détriment de la population. La médecine haïtienne d’aujourd’hui est entrain de développer une éthique capitaliste qui ne fait pas bon ménage avec la santé publique. L’argent est devenu le pilier du système à tel point qu’on est prêt à laisser mourrir les patients si la quantité requise n’est pas payée à l’arrivée du malade. Une situation dénoncée dans presque toutes les institutions sanitaires privées du pays et parfois dans les centres publiques où le patient doit se munir immanquablement de quelques billets afin d’acheter des matériels de premiers soins. Pour des millions d’individus à travers le pays, la coercition de payer pour accéder aux soins représente une barrière financière infranchissable et une des principales causes d’appauvrissement. Fort de ce constat, le gouvernement d’Haiti doit soutenir la mise en place de plusieurs projets et stratégies visant au développement et à la consolidation des dispositifs de protection sociale en santé.

J’exprime ma profonde sympathie aux familles et aux proches des victimes et mon indignation à ceux qui ont la mission sacro-sainte d’administration des soins. La médecine n’est pas une affaire individuelle. Elle s’inscrit dans une dimension sociale, politique et culturelle. Selon les différents rapports sur le Développement Humain du PNUD (2010-207), Haïti est un pays à développement humain faible et avec une distribution de ce dernier fortement inégale. Environ 72% de la population haïtienne vit avec moins de 2 US par jour et la population n’a que difficilement accès aux soins. La Biopolitique, un concept utilisé par le philosophe Michel Foucault pour parler d’une forme d’exercice du pouvoir qui porte, non plus sur les territoires mais sur la vie des individus et sur des populations. Il s’agit de la prise en compte progressive, par le pouvoir, de la vie des milliers de personnes. Selon le dernier rapport quinquennal de l’OPS, Haïti a investi moins de 2% de son produit intérieur brut (PIB) en soins de santé au cours des cinq dernières années alors que le minimum recommandé est de 6%. Malheureusement, avec seulement 4,3% de son budget alloué à la santé, Haïti est loin des recommandations de l’OPS/OMS qui suggère que 15% des dépenses en santé doivent provenir du budget national dans les pays à faible revenu. Cette maigre allocation démontre que le biopouvoir est inexistant en Haïti. En plus, la constitution haïtienne garantit le droit à la santé. Un mensonge de trop. La mort de la mère du chanteur Roody Roodboy est due à cette situation cupide du système hospitalier privé de notre pays. Ils sont nombreux les cas similaires qui ont été rapportés à l’opinion publique. Il faut payer d’abord sinon vous allez mourir….

Comme l’a très tôt relevé plusieurs observateurs avisés, Haïti reste spécialiste des règles dures et des applications molles. Nous adorons les lois et les principes, à condition qu’ils s’appliquent d’abord aux autres. Il me paraît très curieux que l’action publique n’a pas été mise en mouvement contre aucun des hôpitaux ou particuliers indexées pour manque d’assistance aux personnes en détresse. Dans un tweet, l’ancienne ministre de la santé publique, Dr Josette Bijou, a écrit «Pour l’édification de tous, la loi haïtienne fait obligation à toute institution sanitaire de fournir des soins d’urgence à tout patient avec ou sans argent au risque de sanction pour non assistance à personne en danger ». Si tel est le cas, personne n’a pipé mot sur des cas de fatalité répétés au quotidien dans le pays. Dans tout système où la vie est valorisée, toute situation entraînant la mort d’homme devrait être un sujet d’enquête judiciaire et à posteriori punie selon la loi, si culpabilité en est. L’existence d’un tel texte de loi devrait intimider le médecin ou l’établissement qui ne porterait pas assistance à une personne en péril et serait poursuivi devant les juridictions haïtiennes, mettrait sa responsabilité civile, pénale et ordinale en jeu.

Même si la personne est mourante et que l’aide paraît un exercice voué à l’échec, elle ne doit pas être refusée. Dans les pays comme les États-Unis et le Canada, il existe des risques de responsabilité pénale pour toute personne qui n’interviendrait pas face à une autre courant un danger imminent. La loi française préfère parler d’abstention volontaire de porter assistance à une personne en péril. Dans le but d’encourager cette pratique, la République étoilée et certaines provinces canadiennes disposent d’une loi atténuant les risques de poursuite judiciaire en cas d’intervention, connue sous la dénomination loi du bon samaritain, inspirée d’une parabole dont se sert Jésus pour parler de l’amour du prochain. Ainsi, il faut prouver le refus volontaire d’intervenir. Toutefois, la seule abstention peut être une simple négligence et donc source de responsabilité civile et pénale. Au delà de ces délits, il y aurait lieu de parler aussi d’Homicide volontaire et de faute professionnelle grave. D’où la nécessité de renforcer le code pénal haïtien et un code d’éthique pour la profession médicale Haiti.

La littérature bioéthique internationale comporte des constantes universelles pour les prestataires des soins de santé, quels que soient les coutumes des pays, les convictions idéologiques et les croyances spirituelles. L’autonomie, la bienfaisance, la non-malfaisance et la justice constituent les quatre invariants méthodologiques et une plate-forme éthique pour le professionnel de la santé, thématisés par Beauchamp et Childress en 1979. Ces événements malheureux de nature cyclique méritent des réponses urgentes. Aux États-Unis, après des accidents mortels, des mesures et des lois sont votées rapidement. Ce, pour éviter de nouveaux épisodes préjudiciables et des deuils infortunés qui pourraient évidemment être prévenus. La triste saga de la mère de Roody Roodboy devrait être l’élément déclencheur pour une loi spécifique d’urgence qui ferait obligation à toute institution privée ou publique, aussi à tout individu, de prêter assistance aux personnes en situation dangereuse. Les institutions hospitalières devront se plier indépendamment de la capacité des souffrants de payer les services. Les soins d’urgence ne doivent pas être niés à personne et dans la majorité des cas, ce ne sont pas vraiment des procédés dispendieux ou inabordables, ils sont presque dans la majorité des cas, visés à stabiliser un patient sur le point cardio-vasculaire et respiratoire, susceptible de mourir sans une intervention immédiate. Cette loi n’aurait rien à voir avec la gratuité des services de santé en général, mais plutôt l’obligation de traiter tous les patients en situation d’urgence sur tout le territoire national. L’impunité ne doit pas sous aucun prétexte couvrir les cas de meurtres causés par des mercenaires et mercantilistes du secteur de la santé faisant fi des principes déontologiques et du serment d’Hyppocrates régissant la corporation médicale. La santé fait partie intégrale du principe de justice sociale qui vise à l’égalité des droits sans discrimination aucune de bénéficier des avantages de tout ordre. Car au final, la préoccupation première de tout système de santé doit rester le bien-être et la sécurité des malades notamment ceux en péril vital.

Dr Jean Ford G. Figaro,MD,MsC
Spécialiste en gestion des urgences de santé publique.
Militant des droits à la santé en Haïti.