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25 septembre 2023

Pour le conseil de la société civile haïtienne, le prix de la paix, c’est le dialogue social

Dans un document de 5 pages acheminé à la rédaction de KAPZY NEWS, le comité de coordination du conseil national de la société civile haïtienne a fait une proposition de stratégie pour une normalisation de la politique en Haïti.

Pour le conseil de la société civile haïtienne, le prix de la paix, c'est le dialogue social

I- Mise en Contexte

Deux cent dix sept ans de vie politique tumultueuse ! Depuis le drame sanglant du Pont-rouge, Haïti n’a jamais connu une période de paix politique propice à la construction d’une société prospère, inclusive, solidaire et juste. Depuis le rejet de l’Etat Impérial, la vie politique haïtienne est tissée de scissions de la République, de coups d’état à répétition et d’occupations par des forces étrangères. Nos trente cinq (35) dernières années de vie socio politique constituent un témoignage exaspérant de cette instabilité érigée en principe de fonctionnement. De 1987 à nos jours, aucun chef d’Etat, hormis une exception, n’a pu terminer son mandat constitutionnel. Leslie François Manigat est renversé par un coup d’état militaire après seulement quatre mois au pouvoir, février 1988-juin 1988. Le Général Henry Namphy, bénéficiaire du coup d’état de 1988, est, à son tour, évincé par un push militaire en septembre de la même année. Le Général Prosper Avril, bénéficiaire du push de septembre 1988, sera, lui aussi, éjecté du pouvoir par une révolte socio-politique. Le président Jean Bertrand Aristide, élu démocratiquement en décembre 1990, est chassé du pouvoir sept mois plus tard, soit le 30 septembre 1991 par un push militaire. De nouveau, en 2004, des turbulences sociopolitiques le contraindront à l’Exil. En 2016, le président Michel Martelly a terminé son mandat sans pouvoir passer l’écharpe présidentielle à son successeur. Une fois de plus, des troubles sociopolitiques affectant jusqu’aux processus électoraux  ont seulement permis que celle-ci soit remise à l’Assemblée Nationale.
Au cours des trois dernières décennies, 1987-2020, de l’histoire politique haïtienne, seul le président René Garcia Préval a pu, avec beaucoup de difficultés, terminer ses deux (2) mandats. En effet, de 2017 à 2020, la situation politique d’Haïti est devenue de plus en plus chaotique. Crises sous crises. Des grèves à répétition sans succès et, enfin, de longs mois de blocages politiques qui ont entièrement paralysé la vie sociale, économique et scolaire de 2018 à février 2020, ont constitué cette période appelée « pays lock ». Au demeurant, toutes ces turbulences et ces vicissitudes politiques n’auront contribué qu’à accélérer la paupérisation de la société haïtienne. En trente cinq (35) ans de vie politique instable, l’économie a continuellement régressé. La pauvreté a augmenté. La misère s’est largement installée et répandue. La croissance économique est toujours négative. De 2016 à 2020, elle est passée de 0,99 à -1,4%, si l’on se réfère aux analyses de la Banque Mondiale publiées dans Le Nouvelliste du 14 janvier 2020.
Comment expliquer cette stabilité du chaos dans la vie politique haïtienne ? Quelles en sont les causes ? Comment parvenir à nous en sortir ?
Des éléments de réponses pertinentes nous sont fournis çà et là par des historiens, des artistes, des économistes, des sociologues et autres écrivains Haïtiens et étrangers. Parmi eux, Dr Jean Price Mars (1919), dans son ouvrage, « Ainsi parla l’oncle » avait déjà identifié les causes profondes de nos malheurs au plan social, économique, politique et éthique. Selon lui, elles seraient imputables à l’incapacité de nos élites intellectuelles, économiques et politiques de s’acquitter des missions qui leur sont dévolues. Ces élites sont, pour la plupart, caractérisées par leur bovarysme, la sublimation de l’étranger, leur haine de l’autre et leur infantilisme politique.

Outre les éléments de réponse apportés par le Dr Jean Price Mars dans « Ainsi parla l’oncle », s’imposent à nous avec acuité les problèmes d’appropriation de l’identité nationale, d’intégration et de la gestion des différences.
Sans prétendre apporter une explication exhaustive à la stabilité du chaos dans la politique haïtienne à partir de ces seuls éléments de réponses, la permanence du fond de nos crises successives, même polymorphes, les indique comme fil d’Ariane à toute quête de solutions profondes et durables.
Aussi devraient-ils nourrir une prise de conscience nationale historique, induite et enduite de renoncement de soi au profit des intérêts supérieurs du pays, à l’instar de celle de l’Arcahaie le 18 mai 1803. Des nombreux issus possibles, cette voie, à elle seule, peut constituer les fondamentaux nécessaires à une réconciliation nationale pour la construction d’une nouvelle société haïtienne en ce 21ème siècle. Il est donc impératif et urgent que nous développions et mettions en œuvre une stratégie nouvelle, qui, par un processus de conciliation et/ou de réconciliation nationale, finirait par normaliser la vie politique haïtienne, contenir et résorber ce cycle de crises endémiques et séculaires.

II- Les crises et les élections

Avec les élections de 1987 avortées dans le sang par le massacre perpétré à la ruelle vaillant à Port-au-Prince, Haïti est entrée dans le cycle infernal de crises électorales permanentes. Quand les élections ne sont pas réprimées dans le sang, les chefs d’État élus sont déchus par des pushs militaires ou des coups de force conduits par des civils. En témoigne le renversement du Gouvernement du président Jean Bertrand Aristide en février 2004. Les élections sont-elles un passage obligé à la démocratie républicaine? Les faits historiques et anthropo-sociologiques sembleraient démontrer que le bovarysme politique est incompatible avec les us et coutumes des Haïtiens. Surtout quand il en résulte la perception de vouloir singer l’occident dans sa démocratie républicaine rejetée par une très large majorité des populations Européennes. Ces dernières ayant préféré conserver la forme monarchique de leur gouvernement. Nous citons en exemple les états de la Scandinavie, la Grande Bretagne, l’Espagne, la Belgique etc. …
Les élections sont-elles consubstantielles à la démocratie ? Sont-elles des conditions sine qua non à la paix et au progrès social politique et économique ? En effet, nous répondons par la négative. Car la démocratie est une invention tardive du mode de gestion de la vie politique des occidentaux par rapport aux anciennes civilisations mésopotamienne, sumérienne et égyptienne qui ont façonné le destin de l’humanité par leurs savoirs, leur science et leurs arts. Chaque peuple doit décider, même dans le contexte de la globalisation, librement de sa destinée ; choisir le mode de gouvernement qui convient mieux à sa culture et à son idiosyncrasie de peuple. Tout bovarysme politique le condamne à la déchéance politique, sociale et économique.

1- Peut-on organiser des élections en Haïti en 2021?

Objectivement il n’est pas aisé d’apporter une réponse très favorable cette question. La situation politique actuelle tendrait davantage à dissuader l’entreprise d’une telle opération. Toutefois, la maîtrise de certains facteurs sociaux, politiques et économiques pourrait ouvrir la voie à la tenue des élections générales en 2021.

A- Phénomène de gangstérisation

De 2004 à nos jours, le phénomène de gangstérisation dans le pays ne fait que s’amplifier. L’insécurité générale à travers nos villes est consubstantielle de ce phénomène socio-criminologique. Sans une maîtrise complète des gangs les élections ne seront pas possibles.

B- Situation économique catastrophique

Haïti est en récession économique depuis 2016. Le PIB est en régression. L’inflation est galopante. Elle est passée de 9 pour 100 (9%) en 1987 à 30 pour 100 (30%) en 2020 (Direction des Etudes Economiques du Ministère de l’Economie et des Finances & BRH). Le pouvoir d’achat des ménages est anéanti. La population devient trois fois plus pauvre qu’il y a trente-trois (33) ans. Les jeunes sont au chômage chronique. Ainsi, la pauvreté et la misère sont mauvaises conseillères ; elles sont un vivier ou un terroir fertile pour toutes formes de délinquance.
Ainsi, un plan national de développement économique favorisant la création durable d’activités à haute intensité de main d’œuvre, à court terme, serait un préalable à l’organisation des élections dans ce pays.

C- Division et éclatement des Elites

La stratégie de Nelson Mandela en 1994 après son élection à la magistrature suprême de l’Afrique du Sud et celle de Mathieu Kerekou au Bénin en 1990 peuvent être envisagées comme la voie royale vers la normalisation de la vie politique haïtienne en vue de déboucher sur des élections crédibles, honnêtes et démocratiques. Les Haïtiens doivent se concilier et se réconcilier avec eux-mêmes. Sans un processus de conciliation et de réconciliation nationale, assorti de lueur justice, de paix et de pardon, il n’y aura point d’aurore pour le peuple haïtien. Toutes les élites morales, intellectuelles, économiques et politiques doivent s’entendre dans un esprit de patriotisme et de renoncement de soi pour la renaissance de la nation haïtienne déchirée par la division de ses fils et de ses filles.  

III- Crise politique et normalisation
La crise à laquelle la nation Haïtienne est aujourd’hui confrontée, est à la fois sociale, économique et politique. Cette crise s’attaque au fondement même de l’Etat-Nation. Tous les indicateurs sociaux, économiques, politiques, environnementaux et éthiques sont au rouge. Haïti est alors devenu une république ingouvernable. Cette situation chaotique, ultime conséquence des crises successives séculaires qui s’amplifient à mesure qu’elles éclatent est à la fois cause circonstancielle et essentielle de la misère abjecte dans laquelle végète peuple qui la révulse.
Des solutions de normalisation de cette situation doivent être recherchées en priorité. C’est la mission de toutes les élites intellectuelles, morales, économiques et politiques du pays de rechercher dans une consultation nationale des alternatives de solution à ce mal, l’instabilité politique, qui ronge le pays depuis environ 217 ans. Ces Elites doivent consentir des efforts de dépassement de soi pour enterrer leur hache de guerre afin de créer un climat de pardon, de tolérance mutuelle, de justice et de réconciliation.

1- La Normalité politique
La normalité politique est fondée sur la volonté des élites de vivre ensemble en dépit de leur différence caractérielle, d’idiosyncrasie et de vision. La vie tout court est un processus complexe de compromis, source d’équilibre émotionnel et social.
La paix est un bien commun qui s’achète au prix fort. Toutes les sociétés qui progressent ont compris que la paix est la condition sine qua non du progrès social, politique et économique. Les sociétés qui s’engluent dans l’instabilité politique chronique sont condamnées à dépérir. C’est le cas de la nation haïtienne. En 217 ans d’indépendance, elle devient chaque jour plus pauvre. Les peuples, qu’elle aidait, hier encore, à s’organiser, sont aujourd’hui devenus des nations plus organisées et plus prospères qu’elle. Les élites haïtiennes doivent déployer des efforts pour mettre fin à leurs querelles séculaires, pour enfin, la main dans la main, se dédier à travailler à l’avènement d’une nouvelle Haïti en ce 21ème siècle. Donc, la normalité politique est impérative. Elle conditionne, non seulement, le développement de la société haïtienne, mais aussi et surtout le devenir de la nation toute entière.

IV – Objet de la normalité politique

Rechercher une entente durable et productive de paix sociale, de stabilité politique et de progrès économiques est le but principal de la normalité de la vie politique tant souhaitée. Cette normalité résulte de tout un processus qui, en ces circonstances douloureuses de la vie de la république se décline à travers les objectifs spécifiques suivants :
La réconciliation nationale
La révision de la constitution de 1987
L’organisation des élections crédibles et honnêtes.
La définition et la mise en œuvre de stratégies de normalisation.
La vie politique haïtienne doit être normalisée. C’est la mission première de toutes les élites. Elles doivent travailler ensemble à trouver un compromis historique positif, susceptible de créer les conditions de stabilité politique, sans laquelle la nation haïtienne est condamnée à régresser d’année en année.
Il importe donc de construire une stratégie objective et réaliste qui vise à mettre ensemble tous les Haïtiens, dans le respect et l’acceptation conscients des différences, en vue d’une œuvre nationale commune. Cette normalisation politique passera par la fraternisation de toutes les Elites : intellectuelles, sociales, économiques et politiques autour d’un projet fédérateur porteur de la sauvegarde des intérêts majeures de la nation Haïtienne envers et contre tout.

1. Activités de mise en œuvre de la stratégie de normalisation
Sans être exhaustive, la liste ci-dessous esquisse quelques unes des activités qu’implique la mise en œuvre de la stratégie de normalisation.

a) Gestion des Conflits pour un dialogue du Renouveau National.
Il incombera au Président de la République de solliciter formellement l’Appui des Experts Nationaux en Gestion de Conflit. Ils s’attèleront à réunir toutes les couches vives et morales de nation, pour initier un grand dialogue citoyen en quête d’une solution satisfaisante à cette crise politique. Au terme de ce dialogue citoyen, tous les protagonistes sortiront gagnants.

a) Formation d’un nouveau de gouvernement de consensus
Doter le pays d’un nouveau gouvernement de consensus incluant toutes les parties de bonne volonté.

b) Ouverture sur la paix

Proclamer une période de paix sociale et politique assortie de libération de tous les prisonniers dits politiques.

Campagne de sécurisation du pays
d)  Combattre par toutes les mesures fortes le phénomène de l’insécurité et du kidnapping.

Conclusion

La Proposition du Conseil National de la Société Civile Haïtienne se veut une réflexion avec des propositions de pistes de solutions à cette crise endémique dont nous souffrons tous d’une manière ou d’une autre. Certes, Elle a ses faiblesses. Somme toute, elle peut être considérée comme un instrument de travail que l’on peut approfondir.  Le but recherché en produisant ces réflexions est de trouver une porte de sortie honorable pour éviter que la nation ne se plonge d’avantage dans une crise qui a déjà trop duré et qui a causé des dégâts incommensurables au pays.

La paix a un prix. Le prix de la paix c’est le dialogue social.

Pour le conseil de la société civile haïtienne, le prix de la paix, c'est le dialogue social